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Le cinéma espagnol contemporain est unique dans le sens ou il s'agit d'une large industrie cinématographique, produisant moults films par an, avec pour mission première de s'adresser au public espagnol plutôt que de privilégier l'exportation. Le résultat est une industrie cinématographique domestique, nationale, en phase avec les idées culturelles de l'Espagne. La sortie récente d'El Reino aura été l'occasion de se demander pourquoi la France et le Royaume-Uni, deux pays en pleines phases de crise politique et sociale, semblent continuer de refuser d'adresser les questions que sont la corruption politique et l’échec de la démocratie en tant que système. Box 507 est l'occasion de se rendre compte qu'en 2002, les artistes espagnols étaient non seulement déjà conscients de ce phénomène mais étaient même déjà capables de construire des réflexions matures et habiles sur le sujet. Ancienne dictature militaire, comme le Brésil et surtout la Corée du Sud, l'Espagne a une sensibilité rugueuse, brute et sans concessions. Box 507 est une histoire de corruption avant tout. C'est une histoire de corruption politique mais aussi une histoire de corruption humaine et morale, une histoire d'un homme qui, écrasé par son environnement, finit par en devenir un rouage. Le postulat est a la base simple : une banque se fait braquer, le banquier responsable trouve par hasard des documents qui révèlent la conspiration qui aura couté la vie de sa fille. De la, Enrique Urbizu construit un polar tendu et sec a la Don Siegel, un Charley Varrick en mode crime politique ou il n'y a aucun échappatoire possible.
La force du film d'Urbizu vient avant tout de la discipline et du savoir faire avec lesquelles il tisse son récit. Au-delà des complexités du scénario, qui est bien entendu très bien écrit, l'imagerie d'Urbizu, toute en distance et en écrasements, place ses deux protagonistes dans des environnements constamment malaisants ; de la propreté clinique et malsaine de la banque ou se trouve la Box 507, a la crasse et la glauquerie des rues ensoleillées de l'Espagne, le film parvient toujours a nous faire ressentir une urgence, une inquiétude, une connaissance instinctive que rien de bon ne peut sortir de cette histoire, que la mort et la destruction peuvent arriver a tout moment. La scène d'introduction donne le ton du film : elle met en place la tragédie de son récit, mais nous montre aussi des personnages résignés, tant écrasés par la corruption de leur environnement qu'ils ne peuvent pas manifester leur humanité. L'antagoniste central est curieusement le seul personnage a faire preuve de véritables émotions humaines, renforçant l'idée d'un univers ou accepter la nature corrompue de la condition humaine est le seul moyen de renouer avec cette dernière.
Il serait difficile de dire des personnages de Box 507 sont attachants, mais leur descente aux enfers est inéluctable. Urbizu joue du mystère et du suspense inhérent a son sujet pour déjouer les attentes du spectateur ; il nous accroche et nous entraîne dans la spirale qui emporte les personnages. Mais Box 507 est un film jusqu'au boutiste. Son enjeu n'est pas de savoir comment les personnages se sortiront du cercle vicieux de mort et de corruption dans lequel ils sont empêtrés, mais bel et bien de voir jusqu’où ils vont aller. La conclusion, a ce sujet, est glacante de vérité. Un film indispensable, a mon avis, a voir avec 'Troupe d’élite', 'El Reino', et 'Que Dios nos Perdone'.
Un grand merci à Zering pour ce premier texte (les Cahiers n'ont qu'à bien se tenir) et à Moriarty pour l'organisation générale.
Le film sera mis en avant pendant un mois. Il est d'ores et déjà disponible en cliquant ici.
Si vous êtes intéressés pour mettre en avant un autre film le mois prochain, faites-vous connaître !