Cati

Galerie Cati
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Commentaires
25/09/2021 16:25:10
Avis

J’ai récemment découvert Márta Mészáros, et son cinéma est très intéressant à plusieurs égards. Et Cati est peut-être le meilleur film que j’ai pu voir de cette cinéaste. Une oeuvre maîtrisée, et dont la structure du récit lui permet de poser le problème du réel. En cela, le film me paraît avoir une grande portée antonionienne.

C’est un film très lent et très épuré. Malgré une véritable trame narrative, Márta Mészáros n’hésite pas à filmer des séquences où le scénario est nié. Des séquences où il ne se passe rien, des moments de stases qui viennent renforcer la tension, mais surtout qui viennent renforcer la portée métaphysique du film. Un film qui se construit tout d’abord autour d’une quête d’identité presque wendersienne de la part de cette jeune femme : retrouver son identité en retrouvant ses parents qu’elle n’a jamais connu. Mészáros traite beaucoup de la maternité ; c’est peut-être même l’objet le plus important de sa filmographie - des quatre films que j’ai pu voir d’elle en tout cas. Elle filme très régulièrement la femme dans son rôle de mère, où la femme se projetant dans son rôle de mère, où même la femme qui prend conscience qu'elle ne pourra jamais revêtir ce rôle. Elle traite ainsi de la stérilité dans Les héritières, d’une femme dont l’amant refuse d’endosser le rôle du père et qui se voit contrainte à l’adoption dans Adoption, ou encore l’amitié entre deux mères de famille dans Elles deux. Comme si son cinéma essayait de capter les essences du rapport à la maternité. La paternité est d’ailleurs souvent absente. Dans Cati, le processus est inversé : ce n’est pas la mère ou la future mère que l’on suit, mais une femme dans son rôle de fille abandonnée - et où l’absence de paternité se double donc de l’absence de maternité. J’aime beaucoup aussi le cadre du film ; Mészáros aime se placer dans le cadre des ouvrières, restant ainsi dans un univers populaire, certes, mais également féminin. Cela dit, le conflit de classe me paraît moins important que dans Elles deux, ou encore L’Adoption. Ici, je ne dirais pas que c’est accessoire, car cela a toujours un sens politique, mais c’est tout à fait secondaire.

Le récit prend une envergure métaphysique au fur et à mesure que l’on progresse dans le film. Au début, j’avais l’impression de voir un très bon film naturaliste, usant de son épure à l’aune d’un choix poétique qui me séduisait, par ailleurs. Mais cette structure n’est pas naturaliste en vérité ; l’épure est un choix poétique mais aussi philosophique. Elle permet d’ancrer le spectateur dans l’expérience du monde qui est proposée, et non de lui faire pénétrer le récit. Le récit se trouve petit à petit être l’examen même du film. Au fur et à mesure, le problème du réel semble se dessiner à l’aune de l’équivoque et aussi du mensonge. Lors de la rencontre incroyable avec cet homme - scène sur laquelle je reviendrai ensuite - vers la toute fin du film, qui lui raconte comment, dans le passé, il a connu les parents de cette jeune femme, cette dernière lui répète régulièrement : « C’est un belle histoire », ou bien des invectives, telles que : « Je ne vous crois pas » ou « Veuillez cessez de ma raconter des histoires. » L’objet même du film réside ici : Márta Mészáros met en scène une histoire qui met en scène des êtres qui racontent des histoires. A partir du moment où l’on accepte cette poétique, alors on ne sait démêler le vrai du faux, nous spectateur. Et en vérité, cela commence très tôt dans le film, dès la rencontre entre cette jeune femme et sa (vraie ou fausse) mère, puisque celle-ci ne veut pas annoncer à sa famille qu’elle est sa fille et lui demande alors de se faire passer pour sa nièce. Mészáros use ici de l’ironie dramatique, c’est-à-dire que nous spectateurs, avons une information que les personnages de la famille n’ont pas (comble de l'ironie, c'est que l'on finira par se remettre en cause vis-à-vis de ladite information, dont on ne peut être certain qu'elle est vraie). Le plus intéressant semble résider dans le fait que ce problème du mensonge et du réel ne semble pas être un problème pour l’héroïne ; elle accepte toute cette ambiguïté, elle la constate, mais elle ne vit pas cela comme un problème existentiel. Mészáros a une ambition plus forte ; c’est le problème existentiel inhérent à l’humanité qu’elle questionne et non le problème relatif à un individu précis.

D’autre part, cette femme incarne la jeunesse. Et son caractère quelque peu insolent et détaché serait quelque part une des réponses métaphysiques de la jeunesse par rapport au problème du réel. Après tout, cette mère, ce n’est peut-être pas ma véritable mère, mais qu’importe ? Elle existe et j’existe, et le problème du réel pourrait mener à une négation de l’existence ; or je veux rester un « existant ». Le film est terriblement antonionien, mais je trouve même qu’il est parfois très italien, notamment quand Mészáros filme la jeunesse - et notamment la jeunesse qui danse et qui se séduit ; la séduction comme lutte contre le problème existentialiste, comme divertissement pascalien, comme oubli. Je pense notamment à l’ultime séquence - bien étrange qui plus est sur d’autres aspects. L’insouciance d’une jeunesse séductrice va de pair avec la volonté de ne pas avoir peur du réel. D'ailleurs, la petite histoire que l'héroïne entretien avec cet homme qu'elle rencontre dans le train n'est pas douloureuse quand ils ne pensent pas le réel. Mais quand leur aventure commence un peu à durer, l'homme a besoin de concret ; le spectre du réel tombe, et la jeune femme n'a pas d'autres choix que de lui annoncer qu'elle ne l'aime pas (c'était juste une histoire, une des nombreuses histoires dont on a besoin pour oublier le réel). L'homme est alors confronté à l'objet même qu'il essayait d'oublier, voire de fuir. Il est mis face au réel.

Mais le point d’orgue de ce magnifique film, c’est bien entendu cette rencontre mentionnée plus tôt avec cet homme se proclamant ami de longue date des véritables parents de cette jeune femme. Et là, le problème du réel est véritablement posé. Tout est admirable dans cette séquence, où Mészáros parvient à capter une tension dramatique exceptionnelle mais où surtout, elle nous surprend. En vérité, quand on voit cet homme arriver, parler des annonces que la jeune femme a pu passer dans les journaux, avec cette insistance presque dérangeante pour pouvoir parler avec cette fille ne serait-ce qu'un petit instant, je m’attendais à la (banale) révélation de la paternité. Mais, il n’en n’est rien ; cependant, le spectateur va mettre un certain temps avant de savoir qu’il n’y aura pas de révélation, car le geste de Mészáros, pour susciter la tension qui habite toute cette séquence, c’est bien de retarder l’échéance de l’objet même de la discussion que cet homme veut avoir avec cette jeune femme. Mészáros les filme au restaurant, lui en train de manger, de boire son cognac, de parler de choses totalement accessoires et inintéressantes au possible ; une grande partie de la séquence n’expose absolument rien - et le choix de ne rien exposer exprime, quant à lui, beaucoup de choses. Jusqu’au moment où il s’annonce ami des véritables parents de cette jeune femme (qui vient pourtant de retrouver ce qu’on pensait être sa mère) et lui raconte la passion qui a animé les 2 parents, jusqu’à la séparation et à la mort de l’un au combat et de l’autre de chagrin. Un récit auquel la jeune fille ne croit absolument pas ; nous spectateurs, sommes perturbés ; où est le vrai et où est le faux finalement ? La question n’est même pas résolue ; l’héroïne ne demande pas des comptes, ne demande pas ce qui a poussé cet homme a vouloir lui raconter tout ça, elle garde ce détachement insolent, presque désintéressé. Et là en vérité, quand cette dernière décide de partir, on comprend tout sans que le récit nous indique que c’est la vérité : cet homme, c’est son père, un père qui a peur de revêtir l’habit de père, le rôle du père - la paternité est de nouveau absente. Elle le dira à ses amies d’ailleurs, dans la séquence qui suit ; cet homme, je pense que c’est mon père. « Mais tu es folle ! », lui rétorque une de ses amies ! Mais en réalité, cette amie confond le vraisemblable avec le réel. On ne reviendra jamais sur le personnage de la mère ou du père ; on ne saura jamais ce qu’il y a de vrai dans ce récit.

Mészáros a repoussé les limites du récit pour interroger notre rapport au réel. A la manière d'Antonioni, Mészáros créé une théorie du spectateur quelque part : le spectateur ne doit pas forcément imprégner un récit pour imprégner une oeuvre cinématographique. Le spectateur n'a pas besoin de savoir si ce qui est filmé est vrai ou faux par rapport au récit, mais plutôt de saisir l'essence à la fois de l'expérience sensible qu'est le cinéma et du problème existentiel qu'il pose. Le cinéma, finalement, se doit davantage de proposer un voyage plutôt qu'un récit ; et le spectateur se doit plutôt de vivre une expérience plutôt que de croire à une imitation du réel - peut-être y a-t-il ici un point de rupture avec Antonioni d'ailleurs. Cati s’impose ainsi comme une grande oeuvre antonionienne, où l’expérience du monde permet également l’examen du rapport de l’homme face à l’absence : absence du père, absence de la mère, absence de la vérité, absence d’idéal. Mais face à l’absence, le rêve (et donc, une histoire, et même des histoires) sera toujours salvateur. Peut-être est-il plus facile de vivre dans le mensonge, ou bien de ne pas prêter d’importance à la vérité. De toute manière, le réel finit toujours par nous rattraper. Mais Mészáros nous montre bien à quel point il est alors difficile de trouver sa place dans le monde.