Aux États-Unis, depuis les années 1970, des réalisateurs comme Clint Eastwood ou Sam Peckinpah ont réalisé des westerns dits « crépusculaires ». Tout comme dans le western italien, l'héroïsme manichéen des cow-boys classiques a cédé la place à des personnages ambivalents, qui s'affranchissent sans difficulté de la frontière ténue entre le bien et le mal (L'Homme des Hautes Plaines, 1973). Tous les protagonistes sont aussi mauvais les uns que les autres. Le cow-boy des années 1940 est devenu un antihéros qui erre au gré des évènements dans un monde où il ne trouve plus sa place, où la brutalité est sa seule issue. Les personnages féminins sont essentiellement des prostituées, elles fument et boivent, comme dans Pendez-les haut et court (1968). Les valeurs morales de la période classique sont littéralement bafouées.
Le crépusculaire met en scène une violence encore plus exaltée que le spaghetti. Le meilleur exemple est La Horde sauvage (1969) de Sam Peckinpah, où le sang est omniprésent, les blessures mises en valeur, et où la fusillade finale est un gigantesque massacre. De même, on assiste à des scènes cruelles comme le viol dans Josey Wales hors-la-loi (1976).
Les dernières grandes réussites du genre, telles qu'Impitoyable (1992) de Clint Eastwood, dressent paradoxalement un constat d'échec et d'impasse du western. Comme une dérive du genre vers la sortie, plusieurs crépusculaires comme La Colère de Dieu (1972) se situent lors de la révolution mexicaine, épisode marquant en quelque sorte la fin de la conquête de l'Ouest. Ils prennent alors parfois plus l'allure d'un film de guerre que d'un western.
Si ça peut aider à la description du tag, j'ai trouvé ceci (que j'aime beaucoup) :
Pour un éclatement des formes
Le western n?est plus construit sur une bipolarisation Bien/Mal, ou néanmoins une distinction claire des identités, des justifications. Jean-Baptiste Thoret évoque la disparition des « lignes de démarcation », d?abord par le recours à la stylisation : « la multiplication des angles de prise de vue, des échelles de plan et des vitesses, la discontinuité des actions, la prolifération des bandes et des lignes d?opposition, empêche la construction d?un point de vue unique (de quel côté sommes-nous ?), cohérent (qui s?oppose à qui ?) et structuré. » [3] L?ingénieux montage parallèle de la séquence d?ouverture de Pat Garrett and Billy the Kid illustre parfaitement cet éclatement de point de vue et donc du sens, mais plus encore, la structure narrative et le montage de The Wild Bunch (1969) marquent un tournant décisif. Peckinpah ne cherche plus à déterminer clairement la place occupée par chacun à l?écran ou justifier la provenance des tirs de l?un sur l?autre. Autre exemple : la séquence d?ouverture de The Missouri Breaks (Arthur Penn, 1976) reprend le même système. D?abord est présenté un groupe de plusieurs hommes, femmes et enfants, filmés en longue focale, avec un montage n?entretenant aucun lien de causalité, de telle sorte que le spectateur a du mal à comprendre ce qui se passe. La surprise est d?autant plus grande lorsqu?un homme est pendu : c?était une exécution publique présentée comme un pique-nique à la campagne, bonne humeur et rires d?enfants à l?appui.
A cette rupture du rapport classique cause/effet, s?ajoute le déchainement de violence propre au western crépusculaire. Sans conteste, c?est encore une fois Peckinpah qui donne le ton, à l?exemple de la séquence du massacre final dans The Wild Bunch. Tout est chorégraphié, certes avec cruauté, et une teinte de fascination idéaliste, du pessimisme aussi, mais qui ne doivent pas faire oublier la lecture nietzschéenne du film, « l?optimisme tragique » et la « grande acceptation » défendus par Fabrice Revault dans son remarquable essai sur le film : le tragique chez Peckinpah va de pair avec la joie, et les éclats de rires clôturant The Wild Bunch résultent de l?alliance entre échec et puissance. [4]
Le développement de la tendance crépusculaire est, entre autres, contemporain aux images issues du conflit au Vietnam. Au-delà, c?est une nouvelle culture de l?image traumatique qui hante les USA depuis le film de Zapruder, témoin de l?assassinat de JFK : Arthur Penn intitule « nous ne serons plus jamais jeunes » la préface de l?étude de Thoret consacrée au poids de ce drame sur le cinéma des années 70? [10]
L?Amérique doute d?elle-même, d?autant plus que le constat des dégâts causés par son puritanisme conservateur est rendu inévitable. C?est une nouvelle phase de prise de conscience et de parole, retournement radical qui débouche sur une perte de confiance, et une sorte de « révisionnisme ».
Violence donc, comme on le voit chez Peckinpah, mais aussi volonté accrue de rétablir la vérité historique en passant par une déconstruction du mythe de la conquête de l?Ouest qui est désormais abordé comme un fait colonial. Les westerns révisionnistes ne font pas une apparition flamboyante dès l?assassinat de Kennedy, les prémisses ayant été enclenchées depuis les années 1920, mais c?est bien le cinéma des années 1960-1970 qui sera sur ce point le plus véhément et explicite : Major Dundee (Sam Peckinpah, 1965) fait date en la matière.
Plus encore, Heaven?s Gate (1980) de Michael Cimino est un grand western révisionniste, par sa durée (plus de trois heures et demi) et son sujet, l?extermination en 1890 d?une communauté d?immigrés de l?Europe de l?Est par une association de grands propriétaires. Ces hommes et ces femmes, venus chercher les promesses de l?Ouest, ont la révélation du cauchemar américain. L?expérience cinématographique est d?une part visuellement fragmentée (le scope ouvre sur des plans larges découpant les paysages et multipliant les actions) et sert par ailleurs un récit fuyant les rapports de causalité : les évènements de fond surpassent les intrigues de chacun des personnages. C?est la réalité historique qui pèse de tout son poids, sans que personne ne soit réellement capable de mesurer sa gravité.
Cimino a débuté sa carrière avec le rêve de faire de la comédie musicale : Alain Masson relève cette influence par l?importance du travail chorégraphique de Heaven?s Gate où les personnages effectuent en permanence des mouvements rotatifs, sans fuite envisageable (on en revient au système concentrique de la descente aux enfers). [11] Noir, l?univers des hommes laisse encore une fois une place stérile à la femme, impuissant témoin du crépuscule de l?Ouest. Le personnage de John Hurt n?est presque jamais présenté dans un état de sobriété (ses années universitaires à Harvard étaient pourtant pleines de promesses) alors que le trio formé par Isabelle Huppert, Kris Kristofferson et Christopher Walken relève du non sens. Avec ce film, 1980 marquerait une fois pour toutes la fin du classicisme hollywoodien : grand échec commercial et critique, Heaven?s Gate plonge United Artists dans le plus grand gouffre de son histoire et marque la fin d?un auteur.
Le révisionnisme passe également par des films que les historiens nomment « pro-indiens », « de la réhabilitation », ou encore « anti-Custer » (en référence au général Custer célèbre pour sa défaite contre les Indiens lors de la bataille de Little Big Horn en 1876.)
Relativement discret, Tell Them Willie Boy is Here (1969) pousse plus loin encore la réhabilitation politique de l?indien entamée par des films tels que Fort Apache (John Ford, 1948) ou Broken Arrow (Delmer Daves, 1950) et devient un pamphlet anti raciste très amer. Le shérif Coop est interprété par un Robert Redford plus blond que jamais, et qui marque ainsi une opposition avec l?indien Willie Boy (Robert Blake), non-assimilé comme finalement la plupart de ses congénères, à une époque où les politiciens entretiennent une image fédérée des États-Unis, pays qui serait unit et cohérent, d?Est en Ouest. Willie Boy est conscient qu?il doit servir de dernier exemple, et après une longue fuite, il se laisse abattre par Coop doutant lui-même de ses convictions (« on n?a plus de souvenirs » conclut le shérif). Willie est hautement contradictoire, cheveux courts, il porte une cravate et manque de se faire renverser par les automobiles des blancs. Ses rêves sont caducs, comme ceux de Lola (Katharine Ross) qu?il aime. Elle veut devenir institutrice, il lui répond qu?elle serait réduite à colporter les mensonges d?une Amérique hypocrite et perturbée, à l?image des relations du shérif Coop avec l?intendante de la réserve. À ce couple bancal (la femme/objet y est déconsidérée comme souvent dans le crépusculaire), Polonsky oppose les potentialités de réussite des deux jeunes indiens étouffés par le monde extérieur, et qui ne peuvent donc vivre leur amour comme ils en rêvent. Le cinéaste excelle dans ce système de parallélisme en faisant s?enchaîner les coups de feu tirés lors de la chasse à l?indien avec les flashs des journalistes photographiant le siège sur lequel sera assis le Président des Etats-Unis en visite officielle dans la région : tout le discours de Polonsky, lui-même en son temps victime du maccarthisme et de la chasse aux sorcières hollywoodienne, réside dans cette opposition.
La présence de Little Big Man (1970) dans la programmation de la Cinémathèque Québécoise est l?occasion de se questionner sur les limites du crépusculaire. Le film de Penn est de toute évidence révisionniste ou anti-Custer, bien que cette appellation quelque peu radicale induit la nuance. De fait, l?ironie et la dimension parodique du récit frôlant souvent le burlesque ne constitueraient-ils pas en soit une forme de crépuscule du genre ? Quel poids accorder au dernier plan du film (le personnage de Dustin Hoffman, dernier témoin de la bataille de Little Big Horn, constate les accomplissements de sa vie), image qui semble ramener toute la gravité du propos ?
J'arrive et rhaaa je suis à égalité avec Lt-Shaffer sur le tag pour l'instant
Je vais me pencher dessus les prochains jours, histoire de prendre le temps de tout bien lire et de bien réfléchir. Je vois également quelques autres films à rajouter.
Et je confirme Yuma, je ne le mettrais pas. Par contre l'original, à mon avis mérite d'être dans le tag : très psychologique et plus sombre, on retrouve des caractéristiques du crépusculaire que le remake trop orienté action n'a pas.
Alors j'ai fait quelques rajouts de film qui pour moi font vraiment partie du genre crépusculaire :
- Quand siffle la dernière balle
- un homme nommé Cable Hogue
- Cent dollar pour un shérif
- El Perdido
je me pose la question de l'appartenance au genre du western crépusculaire pour des western du Nouvel Hollywood comme :
- John McCabe
- Juge et hors-la-loi
Je leur rajouterai bien le tag, au moins pour Juge et hors-la-loi.
Bon après, j'en ai ajouté que 2 au final, je n'avais pas vu que certains avaient déjà le tag. Je pense qu'on peut encore en trouver d'autres en cherchant bien.
Lt-Shaffer tu pourras nous donner ton avis pour Juge et hors-la-loi puisque tu aimes beaucoup ce film il me semble et prendre note d'absolument voir John McCabe (d'ailleurs un peu la honte que tu ne ai pas vu ce western hein ).
Pour un éclatement des formes
Le western n?est plus construit sur une bipolarisation Bien/Mal, ou néanmoins une distinction claire des identités, des justifications. Jean-Baptiste Thoret évoque la disparition des « lignes de démarcation », d?abord par le recours à la stylisation : « la multiplication des angles de prise de vue, des échelles de plan et des vitesses, la discontinuité des actions, la prolifération des bandes et des lignes d?opposition, empêche la construction d?un point de vue unique (de quel côté sommes-nous ?), cohérent (qui s?oppose à qui ?) et structuré. » [3] L?ingénieux montage parallèle de la séquence d?ouverture de Pat Garrett and Billy the Kid illustre parfaitement cet éclatement de point de vue et donc du sens, mais plus encore, la structure narrative et le montage de The Wild Bunch (1969) marquent un tournant décisif. Peckinpah ne cherche plus à déterminer clairement la place occupée par chacun à l?écran ou justifier la provenance des tirs de l?un sur l?autre. Autre exemple : la séquence d?ouverture de The Missouri Breaks (Arthur Penn, 1976) reprend le même système. D?abord est présenté un groupe de plusieurs hommes, femmes et enfants, filmés en longue focale, avec un montage n?entretenant aucun lien de causalité, de telle sorte que le spectateur a du mal à comprendre ce qui se passe. La surprise est d?autant plus grande lorsqu?un homme est pendu : c?était une exécution publique présentée comme un pique-nique à la campagne, bonne humeur et rires d?enfants à l?appui.
A cette rupture du rapport classique cause/effet, s?ajoute le déchainement de violence propre au western crépusculaire. Sans conteste, c?est encore une fois Peckinpah qui donne le ton, à l?exemple de la séquence du massacre final dans The Wild Bunch. Tout est chorégraphié, certes avec cruauté, et une teinte de fascination idéaliste, du pessimisme aussi, mais qui ne doivent pas faire oublier la lecture nietzschéenne du film, « l?optimisme tragique » et la « grande acceptation » défendus par Fabrice Revault dans son remarquable essai sur le film : le tragique chez Peckinpah va de pair avec la joie, et les éclats de rires clôturant The Wild Bunch résultent de l?alliance entre échec et puissance. [4]