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Le mois dernier, la BBC proposait un classement des 100 meilleurs films selon un panel de critiques internationaux pour les 16 années écoulées. Nous nous sommes à notre tour amusés à retraverser nos émois cinéphiles de ce début de siècle afin d’offrir un contrepoint au classement de la BBC. Voici donc nos 100 films, dévoilés par tranches de 25, en partant du dernier.
A noter que nous avons arbitrairement choisis de ne pas respecter l’usage en faisant débuter le siècle le 1er janvier 2000.
Classement général réalisé à partir des classements individuels d’Emily Barnett, Romain Blondeau, Alexandre Buyukodabas, Luc Chessel, Bruno Deruisseau, Jacky Goldberg, Murielle Joudet, Olivier Joyard, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Théo Ribeton, Léo Soesanto
Notules rédigées par Alexandre Buyukodabas, Bruno Deruisseau, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne et Jean-Baptiste Morain
100 ex aequo : Ce vieux rêve qui bouge, d’Alain Guiraudie (France, 2001) avec Pierre-Louis Calixte, Jean-Marie Combelle
Court par la durée, grand par la qualité. Et même tellement plus grand que tant de longs métrages. Avec une économie de moyens admirable, de la haute précision dans les cadres et le dialogue, un mix parfait d’humour et de gravité, de légèreté et de profondeur, de réalisme et de fantaisie, Guiraudie chronique la fin de la classe ouvrière et l’homosexualité en milieu prolétaire. En 51 minutes, rien n’est asséné, tout est dit et montré. Rien à ajouter, ni à retrancher. Son premier chef-d’œuvre, avant L’inconnu du lac.
100 ex aequo : Mission impossible : Protocole fantôme (Ghost Protocol, USA, 2011) avec Tom Cruise, Léa Seydoux, Jeremy Renner, Simon Pegg
Après s’être frottée au Nouvel Hollywood (De Palma), au thriller asiatique (John Woo), au nouvel âge d’or de la série télé (J.J. Abrams, à l’apogée d’Alias et Lost), la franchise Mission Impossible poursuit son auscultation méthodique de tous les endroits où le cinéma américain transfuse un peu de sang neuf au cinéma d’action. Pour ce quatrième opus, c’est du côté de l’animation et des studios Pixar que Tom Cruise et sa productrice Paula Wagner vont chiner un nouveau wonderboy en la personne de Brad Bird (Les Indestructibles, Ratatouille). Le résultat est un petit prodige d’invention graphique (l’anthologique course à la verticale sur le Burj Khalifa de Dubaï) et de poésie du mouvement.
99 : Vice Versa, de Pete Docter (Inside Out, USA, 2015)
Expliquer le fonctionnement des émotions de manière ludique, fantaisiste et inventive, tel est le pari de ce nouveau film des studios Pixar. L’héroïne, la jeune Riley, se trouve justement à ce moment de l’enfance où tout n’est plus seulement amusement. Elle découvre avec un certain malaise que la tristesse et même la dépression feront dorénavant partie du spectre de ses émotions et que ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Un blockbuster d’animation américain sur les bienfaits de la tristesse, qui l’eu cru ?
98 : P’tit Quinquin, de Bruno Dumont (France, 2014) avec Alane Delhaye, Lucy Caron, Bernard Pruvost
Administrativement parlant, ceci est une série TV, mais ne chipotons pas : Bruno Dumont est un cinéaste et a clairement envisagé cet objet comme chacun de ses films. A une différence près : l’humour, ici ravageur et s’aventurant jusque dans le burlesque le plus débridé, qui re-dynamise son univers jusqu’ici très noir et solennel. Le cinéaste a toujours sa griffe picturale (mais jamais picturaliste), son regard impavide, politique et métaphysique sur le peuple du Calaisis, mais mâtiné de Laurel et Hardy, de Buster Keaton et de Jean-Pierre Mocky. Le cocktail est aussi puissant qu’imprévisible, ne relevant d’aucun courant répertorié du cinéma français.
97 : Minority Report, de Steven Spielberg (USA, 2002) avec Tom Cruise, Colin Farrell, Max Von Sydow, Samantha Morton
Sur une suggestion de Tom Cruise, Steven Spielberg adapte une nouvelle de Philip K. Dick et livre une méditation politique très sombre sur la surveillance policière. Dans un monde où les images sont tramées à toutes les strates du quotidiens, où tous les délits sont anticipés et punis avant même d’être commis, Tom Cruise exécute ce qu’il sait faire le mieux au monde : une course sans fin sublimement chorégraphiée, avec pour une unique réponse à l’adversité une nouvelle étourdissante virevolte.
96 : The Social Network, de David Fincher (USA, 2010) avec Jesse Eisenberg, Andrew Garfield, Justin Timberlake, Rooney Mara
L’invention de Facebook par l’étudiant Mark Zuckerberg, qui vient de se faire larguer, et crée un site pirate rassemblant des données sur les filles de l’université. Ce site prend très vite de l’ampleur. Mais la création du réseau social le plus connu au monde passe paradoxalement par des amitiés trahies et d’amers échecs sentimentaux. The Social Network emblématise une des grandes forces du cinéma américain : sa capacité inentamée à fabriquer des histoires et du mythe sur l’Histoire récente.
95 : Looper, de Ryan Johnson (USA, 2012) avec Bruce Willis, Joseph Gordon-Levitt, Emily Blunt, Paul Dano
On avait découvert le jeune Ryan Johnson avec un curieux premier film, Brick, qui télescopait les codes du film noir avec ceux du teen movie. Pour son troisième long-métrage, il s’attelle aux complications du récit à paradoxes temporels. Un même personnage se poursuit lui-même dans l’écheveau de plusieurs périodes de sa vie. Le résultat est une série B de SF éblouissante de concision, de virtuosité narrative et de puissance visionnaire.
94 : La piel que habito, de Pedro Almodovar (Espagne, 2011) avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes
Obsédé par la mort de sa femme victime d’inguérissables brûlures, un chirurgien (Antonio Banderas) reclus dans son laboratoire tente de fabriquer et de tester sur un cobaye une peau génétiquement modifiée capable de résister à toute agression tout en étant sensible aux caresses. Caresses et agressions, deux extrêmes qui résument bien ce vingtième long-métrage du réalisateur espagnol tant il est à la fois glaçant et érotique, déjanté et maîtrise. Egalement hommage au chef-d’oeuvre de Franju, Les Yeux sans visages, La Piel que habito est l’un des films les plus pervers et sombres de son auteur.
93 : 40 ans toujours puceau, de Judd Apatow (The 40 Year-Old Virgin, USA, 2005) avec Steve Carell, Catherine Keener, Paul Rudd, Seth Rogen
Andy Stitzer, 40 ans, vendeur dans un magasin d’électronique un peu geek, est toujours puceau. Ses amis décident de remédier à la situation par tous les moyens possibles. Le premier long métrage de Judd Apatow synthétise les motifs et les obsessions de son œuvre au comique à la fois régressif et amer, en forme de radiographie des fantasmes et des angoisses intimes de l’Américain moyen des années 2000. S’accrochant à la trajectoire de son attachant looser de héros avec une frontalité aussi jouissive que touchante, le cinéaste livre une comédie décomplexée et irrévérencieuse en forme d’écrin pour le génie comique de Steve Carell, dont c’est le premier grand rôle.
92 : Les Amours imaginaires, de et avec Xavier Dolan (Canada, 2010) avec Mounia Chokri, Niels Schneider, Anne Dorval, Perette Souplex, Louis Garrel
Deuxième film du réalisateur québécois, Les Amours imaginaires est l’histoire d’un triangle amoureux qui dérape, d’une utopie amoureuse qui échoue. Contrairement à J’ai tué ma mère, son premier film, qui était par certains cotés percutant et aride, ce film magnifique est un condensé baroque d’émotions et de couleurs. Matrice des grandes formes que seront par la suite Mommy et Laurence Anyways, Les Amours Imaginaires s’empare à bras le corps du thème qui traverse toute la jeune filmographie de Xavier Dolan, le désir et le besoin d’amour.
91 : Essential Killing, de Jerzy Skolimowski (Pologne, 2010) avec Vincent Gallo, Emmanuelle Seigner
Un camion transportant des prisonniers talibans a un accident sur une route de montagne enneigée. Un homme s’en échappe, pieds nus et menottes aux poignets. Chassé par l’armée comme une bête sauvage, il va devoir survivre seul dans un environnement hostile. Malgré le caractère un peu douteux du projet (Vincent Gallo en combattant afghan, un pitch survivaliste éculé, et un réalisateur qui ne s’était pas montré vraiment inspiré depuis Travail au noir en 1982), Essential Killing est une méditation sèche et tranchante sur la violence, que son minimalisme tendant vers l’expérimental porte à un degré de puissance et d’évocation quasi-allégorique.
90 : Bug, de William Friedkin (USA, 2006) avec Ashley Judd, Michael Shannon, Harry Connick Jr
Le grand retour d’un fleuron du Nouvel Hollywood porté disparu depuis des lustres. A partir du récit d’un couple prisonnier de sa paranoïa, le signataire de L’Exorciste exorcise ses années loin des sunlights en livrant un thriller souterrainement politique (l’armée américaine y est sérieusement questionnée) qui finit par flirter avec l’art contemporain. Ashley Judd et l’extraordinaire Michael Shannon portent à incandescence ce tour de force plastique et narratif qui fait grimper les tensiomètres et donne du souci à tous les cardiologues.
89 : Les plages d’Agnès, de et avec Agnès Varda (France, 2008) avec Mathieu Demy, Rosalie Varda, Yolande Moreau
“Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages”. À l’orée de ses 80 ans, la cinéaste Agnès Varda livre un autoportrait filmé en forme de voyage libre et volage à travers ses souvenirs, porté par les objets, les visages, les rencontres et les projets qui ont émaillé ses mille vies. Avec autant d’humilité que de drôlerie, d’inventivité que de poésie, sa voix réconfortante nous mène de son enfance sur les quais de Sète à la petite maison de la rue Daguerre où elle s’initie à la photographie, de ses rencontres politiques et artistiques à son amour pour Jacques Demy, l’homme de sa vie. Un film en forme de bilan d’une vie, certes, mais à la joie lumineuse.
88 : Choses secrètes, de Jean-Claude Brisseau (France, 2002) avec Sabrina Seyvecou, Coralie Revel, Roger Miremont, Fabrice Deville
Où Brisseau porte au plus haut degré l’une de ses préoccupations majeures : les origines, la nature et l’amplitude de la jouissance féminine. Épaule par deux jeunes actrices superbes qu’il magnifie, (Coralie Revel et Sabrina Seyvecou), traducteur contemporain d’Hitchcock, Brisseau livre une œuvre striée de fulgurances sur ce qui est (ou fut ?) l’essence du cinéma : des hommes filmant de jolies femmes faisant de jolies choses, dévoilant un peu de ce qui est secret dans la vie sociale, à savoir les fantasmes, la sexualité, l’inconscient.
87 : Mysterious Skin, de Greg Araki (USA, 2004) avec Joseph Gordon-Levitt, Brady Corbet
Brian Lackey a 18 ans et cela fait 10 ans qu’il fait des cauchemars, a peur du noir et se réveille le nez en sang, depuis le soir où il s’est retrouvé dans la cave de sa maison sans savoir ce qu’il faisait là. Persuadé d’avoir été enlevé par des extraterrestres, il va découvrir en compagnie de Neil Mc Cormick, un garçon de son âge, séducteur maladif au visage d’ange, que l’origine de son traumatisme est toute autre. Meilleur film de Gregg Araki, Mysterious Skin parvient à s’emparer du sujet du traumatisme sexuel pour en faire une teen movie pop, cotonneux et poétique.
86 : Time and Tide, de Tsui Hark (Hong-Kong, 2000) avec Nicholas Tse, Wu Bai, Anthony Wong
Contrairement à son collègue John Woo, devenu (provisoirement) roi d’Hollywood (Volte/face, Mission impossible 2), le grand Tsui Hark a vu soldées ses deux tentatives US par des bides cinglants (Double Team, Piège a Honk-Kong, tous deux avec Jean-Claude Van Damme). Il revient alors au bercail et signe un thriller rageur, gavé de gun fights pétaradants, à la fois millimétrés et au bord du chaos.
85 : The Myth of American Sleepover, de David Robert Mitchell (USA, 2010) avec Claire Sloma, Marlon Morton, Amanda Bauer
Découvert en 2010 à Cannes, à la Semaine de la critique, ce premier premier long-métrage retrace la nuit de quelques adolescents de Detroit, à la fin de l’été. Les filles se réunissent dans des soirées pyjamas. Les garçons vaquent dans le plus grand désœuvrement. Le film est une variation erratique et ouaté aux classiques de teen-movie 80′ à la John Hughes. Hyper sensible et bluesy, le film annonçait la naissance d’un excellent cinéaste, qui a depuis confirmé avec It Follows.
84 : Blissfully Yours, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, 2002) avec Kanokporn Tongaram, Jenjira Jansuda
Le film (ce n’était pas son premier) qui nous fit découvrir ce jeune cinéaste thaïlandais totalement inconnu. Qui d’emblée imposait son originalité (un générique de “début” au bout de trois quarts d’heure) sans ostentation : une première partie quasi-documentaire sur une maladie de peau, une seconde plus symbolique, féerique, sylvestre, érotique et panthéiste dans la jungle birmane. Avec quelque chose de renoirien, pour nous Occidentaux. Un grand cinéaste naissait, à la fois attentif au corps, aux rêves, aux fantômes, avec une légèreté grave et un humour discret.
83 : Boyhood, de Richard Linklater (USA, 2014) avec Ellar Coltrane, Ethan Hawke, Patricia Arquette
Chronique d’une famille américaine moyenne sur une quinzaine d’années. Si le sujet semble banal, la façon de l’aborder l’est beaucoup moins, Linklater ayant rapproché durées réelle et diégétique en tournant ce film une semaine par an pendant douze années. On voit donc vraiment vieillir Patricia Arquette et Ethan Hawkes mais surtout le gamin, Ellar Coltrane, magistral de 6 à 18 ans. Une parfaite incarnation de la définition du cinéma par Cocteau, “la mort au travail”. Ou plutôt “la vie au travail”, ce qui est pareil mais moins sombrement formulé.
82 : Le nouveau monde, de Terrence Malick (The New World, USA, 2014) avec Colin Farrell, Q’Orianka Kilcher, Christopher Plummer, Christian Bale, David Thewlis
Pocahontas raconté par Terrence Malick, cela donne un film inspiré, mystique, panthéiste et politique. Malick tourne la vie des premiers colons américains. Brutaux, maladroits, stupides, armés de leurs seuls a priori. Avec ses mouvements de caméra caressants et virevoltants, il taille comme des encoches dans le temps, dans la matière (notamment des arbres). Et puis il nous laisse cette image inoubliable : un vieil Indien qui se perd dans les méandres d’un jardin anglais et qu’on ne reverra jamais. Où est-il passé ? Il nous obsède encore.
81 : Histoire de Marie et Julien, de Jacques Rivette (France, 2003) avec Emmanuelle Beart, Jerzy Radziwilowicz, Anne Brochet, Olivier Cruveiller, Nicole Garcia
C’est une histoire de revenants (Jacques Rivette tenait absolument au terme, refusant celui de “fantômes”). Julien, l’horloger dépressif, revient à la vie grâce à une femme mystérieuse et propriétaire d’une charge érotique très forte (Emmanuelle Béart, plus troublante que dans La Belle noiseuse, où elle apparaissait nue du début à la fin du film). Comme toujours chez Rivette, il est question de secrets insondables dont le désir serait peut-être le plus mystérieux.
80 : Super 8, de J.J. Abrams (USA, 2011) avec Joel Courtney, Elle Fanning, Kyle Chandler
À l’orée des années 80, Joe, 13 ans, perd sa mère. Fuyant sa relation tendue avec son shérif de père, il tourne avec ses amis des films amateurs en Super 8, et découvre le goût ineffable des premières amours avec sa voisine Alice. Un jour, la bande de cinéastes en herbe est témoin d’un mystérieux accident, prémisse d’événements terrifiants qui vont se déchaîner sur la ville. En se plaçant avec sincérité dans l’héritage de son modèle Spielberg, Abrams livre un film de science-fiction curieusement apaisé, creusant une veine mélancolique où les moments de pure sidération (un spectaculaire accident de train) accompagnent un récit à hauteur d’enfant étonnamment grave. Le film opère ainsi un fabuleux repli de l’imaginaire sur l’intime, comme s’il fallait déployer toutes les puissances du cinéma pour faire le deuil d’un être cher, et retrouver une dernière fois le regard de sa mère dans les yeux d’un extraterrestre perdu.
79 : A Touch of Sin, de Jia Zhang-ke (Chine, 2013) avec Jiang Wu, Wang Baoqiang, Zhao Tao
Quatre personnages, quatre provinces et quatre histoires pour un seul et même objectif, dresser la portrait d’une société chinoise contemporaine en proie aux mutations d’un capitalisme effréné et du lot de violences et de corruption qui l’accompagnent. Dixième long-métrage de Zia Zhang-ke, A Touch of Sin marque également un virage dans l’oeuvre du réalisateur puisque ce dernier quitte la pure contemplation pour lorgner du coté du genre du film de vengeance. Un film rebelle et esthétiquement éblouissant.
78 : A ma sœur, de Catherine Breillat (France, 2001) avec Roxane Mesquida, Anaïs Reboux, Arsinée Khanjian, Laura Betti
C’est l’été. Anaïs, douze ans, est boulotte. Sa soeur aînée est bien plus belle et délurée. Mais les premiers rapports sexuels un certain malaise : comment ne pas tomber sous la coupe du désir des autres ? Le récit tourne peu à peu au cauchemar, quand la petite remonte vers Paris sur une autoroute effrayante (scène géniale). Mélange de réalisme et de fantastique, A ma sœur est l’un des plus beaux films de Catherine Breillat.
77 : Spiderman 2, de Sam Raimi (USA, 2004) avec Tobey McGuire, Kirsten Dunst, James Franco, Alfred Molina, Willem Dafoe, JK Simmons
À l’heure où les blockbusters super-héroïques saturent les écrans de leurs trames clonées et de leurs esthétiques homogénéisées, il est bon de rappeler que des cinéastes talentueux ont su s’emparer du genre pour faire naître des œuvres sincères et inventives. Dans ce deuxième volet de sa trilogie, Sam Raimi, délesté des contraintes de l’origine story et du poids des épisodes conclusifs, orchestre un ballet aérien à la fluidité stupéfiante, déployant une inventivité visuelle et plastique purement jouissive sans jamais renoncer aux enjeux humains et intimes. En entrechoquant un Peter Parker cherchant à concilier ses deux identité, un Harry Osborn dévoré par le chagrin et la soif de vengeance, une Mary Jane Watson à la mélancolie envoûtante et un Docteur Octopus aussi terrifiant que tragique, Sam Raimi, en pleine maîtrise de ses pouvoirs et conscient de ses responsabilités, livre un film impressionnant, bouleversant et entier.
76 : The Ghostwriter, de Roman Polanski (France/Allemagne/Angleterre, 2010) avec Ewan McGregor, Pierce Brosnan, Olivia Williams, Kim Cattrall, James Belushi
Un nègre littéraire à succès est engagé pour terminer les mémoires d’un ancien Premier ministre britannique controversé. Installé dans la demeure du ministre sur une île isolée, il apprend que son prédécesseur a trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses, et commence à démêler les fils d’un complot aux ramifications obscures. Sur un canevas de thriller d’espionnage où plane l’ombre de Tony Blair, Polanski déploie une mise en scène claire et épurée irriguée par une tension et un suspens quasi-hitchcockien. Il injecte également dans cet entrelacs de séduction et de manipulation une noirceur grinçante et frôlant parfois l’absurde qui en contamine chaque élément, rejouant à l’échelle de ce bout de terre noyé dans le brouillard de l’hiver ses cartes favorites de l’enfermement (ici à ciel ouvert) et de la folie.
75 : Deux en un, de Bobby et Peter Farrelly (Stuck on You, USA, 2003) avec Matt Damon, Greg Kinnear, Meryl Streep
Au début des années 2000, la fratrie Farelly touche les cimes. Après la galvanisante ode à la schizophrénie de Fous d’Irène, ils réussissent leur film le plus poignant avec cette chronique d’une progressive déliaison entre deux frères siamois. Greg Kinear et Matt Damon campent ce tandem fusionnel avec une sentimentalité exacerbée. Bien sûr, le film est hilarant, et pourtant un frisson mélo le parcourt de part en part. Et en plus, il y a Cher, impériale en milf suprême au pieu avec un amant mineur qui dévore du popcorn dans un grand saladier.
74 : Syndromes and a Century, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, France, Autriche, 2006) avec Nantarat Sawaddikul, Jaruchai Lamaram
Moins remarqué que Tropical Malady ou Oncle Boonmee qui furent sélectionnés en compétition à Cannes et primés, Syndromes and a Century est pourtant au moins aussi fort, beau et étrange. Comme beaucoup de films du cinéaste, celui-ci se passe dans un hôpital. Et comme toujours, notre configuration cartésienne ne comprend pas tout ce que raconte Apichatpong mais notre zone sensible ressent profondément la beauté et la puissance de ses plans qui scannent poétiquement les mystères anxiogènes de la maladie et de la médecine.
73 : Triple Agent, d’Eric Rohmer (France, Italie, Russie, Espagne, Grèce, 2004), avec Katerina Didaskalou, Serge Renko, Cyrielle Clair
Tiré d’un fait divers véridique (assez rare chez Rohmer pour être noté), Triple agent se déroule dans les années trente à Paris, et raconte l’histoire d’un général russe blanc émigré qui s’occupe en travaillant pour plusieurs réseaux d’espionnage ennemis… L’avant-dernier film d’Eric Rohmer est le film d’espionnage le plus original qui soit. Un film sur le mensonge sans gadget ni poursuite, avec des échanges d’informations et des manipulations menés sur un ton badin. Tout finira mal, comme il se doit.
72 : Les 1001 nuits, de Miguel Gomes (As 1001 Noites, Portugal, 2015) avec Cristina Alfaiate, Joana de Verona, Adriano Luz
Dans un pays d’Europe en crise, une équipe de tournage tente de rendre compte des conflits sociaux et de la misère grandissante qui frappe leur peuple. Le réalisateur, écrasé par l’ampleur de la tâche, s’enfuit et laisse Shéhérazade prendre la parole à sa place. La belle jeune femme, pour éviter d’être exécutée par le cruel souverain auquel elle a été mariée de force, lui raconte chaque soir une nouvelle histoire pour le captiver. Au fil des nuits, l’inquiétude laisse place à la désolation, puis à l’enchantement. Patchwork de styles narratifs et esthétiques, le triptyque de Gomes est un foisonnant puzzle poétique, imprégné d’érotisme et sous-tendu par un fil rouge : réenchanter le cinéma politique par l’invention et le merveilleux.
71 : Saint Laurent, de Bertrand Bonello (France, 2014) avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux
Bertrand Bonello portraiture le couturier dans un biopic très peu épique, aux antipodes du rise and fall archétypal. Il propose plutôt une apnée dans les grands fonds marins d’un psychisme particulièrement torturé, exploration scrupuleuse d’une vie intérieure aussi intense que complexe. La beauté du film gît dans sa construction, l’élaboration de son montage, ses images rémanentes, son grand charivari où s’entremêlent toutes les étapes d’une vie. Le temps n’est pas une flèche, il n’avance pas. Il s’enroule plutôt en anneaux, comme ces serpents qui hantent Saint Laurent la nuit. On est jeune et vieux en même temps. Tout se diffracte dans le grand kaléidoscope d’une vie et le film en restitue génialement le perpétuel scintillement.
70 : Woman on the Beach, de Hong Sang-soo (Corée du Sud, 2006), avec Kim Seung-woo, Go Hyun-jung
Comme souvent chez Hong Sang-soo, le personnage principal de Woman on the Beach est un réalisateur en crise qui décide de partir chercher l’inspiration dans une station balnéaire en compagnie de son chef opérateur et de sa petite amie qui va petit-à-petit se rapprocher du réalisateur. Dans ce marivaudage emplis de grisaille, la fuite dans le désir amoureux ou sexuel, on ne sait jamais, est perçue comme un remède au mal être. Avec une légèreté mélancolique et un humour tour à tour tendre et cruel, le réalisateur coréen démontre une nouvelle fois dans ce film son immense talent pour capter la furtivité des émotions et rendre compte d’un réel où la trivialité de l’existence se mêle à une puissance poétique folle.
69 : La Captive, de Chantal Akerman (France, Belgique, 2000) avec Stanislas Merhar, Sylvie Testud
Relecture moderne et libre de La Prisonnière, La Captive est sans doute la meilleure adaptation cinématographique de Proust et le film le plus intelligent sur la sexualité humaine. Le film raconte l’histoire d’un homme oisif (Stanislas Mehrar) obsédé jusqu’à la folie par une femme qu’il a recueillie chez lui et dont il connaît les goûts lesbiens. Inatteignable, insaisissable, elle est l’obscur et parfait objet de son désir.
68 : A l’ouest des rails, de Wang Bing (Chine, 2003)
Une grande fresque documentaire (plus de neuf heures) qui parcourt dans tous les sens un gigantesque complexe industriel devenu obsolète du nord-est de la Chine, peu à peu abandonné par les ouvriers et livré à la rouille. Wang Bing, à l’époque un inconnu total, réussit seul, avec sa caméra, un coup de maître : montrer et métaphoriser la fin de la Chine communiste. Attentif aux petites histoires humaines qui font la grande Histoire, A l’ouest des rails est un chef d’oeuvre.
67 : La Graine et le mulet, d’Abdellatif Kéchiche (France, Tunisie, 2007) avec Habib Boufares, Hafsia Herzi
Suivant les aventures d’une famille franco-arabe qui tente d’ouvrir un restaurant, Kéchiche brosse un portrait de la France métissée dont l’épaisseur humaine et le feu des acteurs évoquent le cinéma populaire et solaire de Renoir ou Pagnol. Jouant sur la longueur des plans et l’épuisement des scènes, le cinéaste produit des séquences anthologiques où les comédiens se déploient et brillent, tout particulièrement la révélation Hafsia Herzi, bombe de sensualité, de tchatche et de culot.
66 : Tomboy, de Céline Sciamma (France, 2011) avec Zoé Héran, Malon Lévana, Jeanne Disson
A la fin de l’été, quelques semaines avant la rentrée des classes, une petite fille profite de l’installation de sa famille dans une nouvelle ville, pour faire croire aux autres enfants du quartier qu’elle est un petit garçon. Construit comme un film à suspense, où l’enfant est contraint sans arrêt à trouver de nouvelles parades pour ne pas être démasquée, Tomboy décrit avec beaucoup d’acuité l’éboulement du monde dans les yeux de ceux qui n’ont vu que ceux qu’ils voulaient voir, n’ont pas vu ce qu’il fallait voir. Cette perturbation des perceptions, Céline Sciamma la filme avec une touche légère, dans une géographie de l’enfance ancestrale entre Mark Twain et La Guerre des boutons (sous-bois, clairières, rivières). La gravité est estompée par l’humour, sans pour autant que soit évité la violence de certaines situations. La finesse et la puissance y sont parfaitement combinées.
65 : L’Avenir, de Mia Hansen-Løve (France, 2016) avec Isabelle Huppert, Edith Scob, Roman Kolinka
Après avoir dépeint avec précaution et justesse l’empreinte des premières grandes amours dans Un amour de jeunesse, et sondé le devenir au goût parfois amer de la génération french touch dans Eden , Mia Hansen-Løve poursuit une trajectoire à part dans le jeune cinéma français contemporain, un naturalisme doux emprunt de rêveries mélancoliques. En composant ce personnage de professeure de philosophie passionnée confrontée à une liberté nouvelle aussi terrifiante que grisante, elle offre à Isabelle Huppert un écrin à la mesure de son jeu à la force imprévisible comme à la touchante fragilité. S’esquisse avec délicatesse le portrait d’un être plongé dans la tempête intime d’un monde qui s’effondre, le sien, une petite bougie à la flamme qui vacille mais jamais ne s’éteint.
64 : La Nuit nous appartient, de James Gray (We Own the Night, Etats-Unis, 2007) avec Joaquin Phoenix, Mark Wahlberg, Eva Mendes, Robert Duvall
La Nuit nous appartient est à l’image du canapé de velours doré sur lequel se déroule la mémorable scène de sexe entre Eva Mendes et Joaquin Phoenix ; classe, rococo et brillant. Le film rejoue la parabole biblique du bon et du mauvais fils dans le monde de la nuit new-yorkaise des années 80. James Gray y déploie tout son talent à dépoussiérer une certaine idée du cinéma issue de l’âge d’or des studios, du néo-classicisme dans sa version tragique et baroque, à l’esthétique sombre et racée. Le film vaut également en tant que pur thriller, mêlant à la perfection psychologique dramatique et scènes d’actions magistralement mises en scène.
63 : Tokyo Sonata, de Kiyoshi Kurosawa (Japon, Pays-Bas, 2008) avec Teruyuki Kagawa, Kyôko Koizumi
Un salary man père de famille perd son emploi. Mais il refuse d’en prendre acte, de prévenir les siens et revêt tous les matins ses habits de cadres pour errer dans la ville et profiter de la soupe populaire. Longtemps perçu comme le grand rénovateur du film de fantômes asiatique (Kairo), Kyoshi Kurosawa s’attelle cette fois aux codes du réalisme social. Mais il réussit un film plus anxiogène encore que ses récits fantastiques, avec la crise économique et le capitalisme financier comme monstres terrorisants.
62 : Arrête-moi si tu peux, de Steven Spielberg (Catch Me If You Can, Etats-Unis, 2002) avec Leonardo DiCaprio, Tom Hanks, Christopher Walken, Nathalie Baye, Amy Adams
Professeur de lycée, pilote d’avion de ligne, médecin chef de service et avocat réputé… Frank Abagnale Jr est tout cela et rien à la fois. En réalité, un jeune homme brisé féru de bandes dessinées empêtré dans le tissus de mensonge de ses identités multiples, escroc protéiforme et insaisissable lancé comme une flèche, le FBI aux bottes, à travers ce film dont l’énergie et l’ivresse du mouvement perpétuel tiennent presque du cartoon en ligne claire. Leonardo DiCaprio, survolté, y offre jusqu’à l’épuisement l’une de ses premières “grandes” performance d’acteur. Et pourtant, derrière ses gesticulations un peu vaines, se cache un être à l’énergie aussi ludique qu’hantée, porté par une course sans fin pour ne pas basculer dans l’abîme. Un enfant qui ne veut pas grandir, et qui continuera à jouer coûte que coûte.
61 : L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche (France, 2004) avec Sara Forestier, Osman Elkharraz
Où le cinéaste filme la banlieue en confrontant l’argot des cités avec la langue classique de Marivaux. La rencontre fait des étincelles, au cours de séquences qui mijotent à feu doux et montent à un degré d’incandescence incroyable, portées par de formidables actrices et acteurs amateurs ou débutants. Le film où la “Kechiche touch” s’affirme en majesté.
60 : La Mauvaise Education, de Pedro Almodóvar (La Mala Educacion, Espagne, 2004) avec Gael Garcia Bernal, Fele Martinez
Dans sa façon d’entrelacer différents niveaux de temps (l’Espagne franquiste des sixties, le Madrid de la Movida late seventies), de multiplier les lacis narratifs et les jeux de miroir, La Mauvaise Education n’est probablement pas le film le plus harmonieux de son auteur. Mais son coté un peu bancal se combine idéalement à l’âpreté, l’extrême noirceur de ce conte amer, où l’intégrité artistique est le seul fait des martyrs (en l’occurrence un transsexuel prostitué et junkie) et la réussite artistique celle des vampires (cinéaste en crise et acteur arriviste prêt à voler l’expérience des autres pour assurer leur succès). Une fièvre anxieuse anime le film, qui le rend profondément trouble, et vraiment entêtant.
59 : A Serious Man, d’Ethan et Joel Coen (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, 2009) avec Michael Stuhlbarg, Sari Lennick, Fred Melamed
Le film le plus autobiographique, singulier et fort des deux frérots. Avec leur humour pince-sans-rire coutumier, ils y montrent l’étrangeté absolue d’être élevé dans la culture juive ancestrale en plein milieu du Minnesota. Ainsi, dans cette relecture très spéciale du Livre de Job se mêlent conte yiddish et comédie de la suburbia, rabbins désopilants et tube du Jefferson Airplane, père de famille dépassé et ados enfermés dans leur bulle. Drôle, anxiogène et profond comme une parabole talmudique.
58 : Last Days, de Gus Van Sant (Etats-Unis, 2005) avec Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento
Élégie sur les derniers jours du Kurt Cobain, Last Days parachève une trilogie qui aura tenté de dresser le portrait d’une jeunesse américaine titubante et mélancolique. Aux portes de la mort dans Elephant, cette jeunesse semble dans Gerry passer de vie à trépas. Last Days est donc un récit de l’au-delà. Gus Van Sant y filme un fantôme habitant le corps décharné et vacillant de Michael Pitt. Longue errance silencieuse à la fois majestueuse et triviale, le film épate dans sa capacité à saisir l’impalpable, à ressusciter avec grâce l’icône d’une génération et à attraper au vol l’état émotionnel et atmosphérique d’un jeune homme qui doucement s’abandonne.
57 : In Another Country, de Hong Sang-soo (Corée du Sud, 2012) avec Isabelle Huppert, Yu Jun-Sang, Jeong Yu-mi
Variations sur les aventures d’une étrangère en vacances en Corée du Sud, tour à tour célèbre réalisatrice en visite chez un ami, amante fuyant son mari en compagnie de son concubin et enfin femme abandonnée par son époux, In Another Country marque la première incursion d’Isabelle Huppert dans le cinéma de Hong Sang-soo. Dans ce film au badinage euphorisant, l’oeuvre du réalisateur coréen se déploie au contact d’un corps étranger, grain de sable dans le rouage d’un cinéma programmatique qui l’utilise comme générateur des situations embarrassantes et cocasses que Hong Sang-soo aime tant à filmer.
56 : Un Conte de Noël – Roubaix !, d’Arnaud Desplechin (France, 2008) avec Catherine Deneuve, Matthieu Amalric, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny
Septième long-métrage d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël narre le récit d’une famille au lourd passé qui se réunit pour les fêtes. Les névroses familiales y sont filmées avec une élégante cruauté et une humour pinçant. Porté par une brochette d’acteurs en or plaqué, le film vaut aussi pour son verbe acéré et jouissif, pour le plaisir des mots qui traversent la table du réveillon comme des piques empoisonnées. Véritables explosions des non-dits rampants dans les couloirs patriarcaux depuis des années et centre névralgique du film, la scène de repas est à mettre au panthéon du cinéma français.
55 : Mia Madre, de Nanni Moretti (Italie, 2015) avec Margherita Buy, John Turturro
Le dernier film à ce jour de Nanni Moretti décrit l’histoire d’une réalisatrice écartelée entre trois préoccupations : la mort imminente de sa mère, l’éducation de sa fille adolescente et surtout le tournage de son nouveau film, auquel participe un acteur italo-américain complètement hystérique (John Turturro, hilarant). Tourné après la mort de sa mère, Mia madre est de l’aveu même de Nanni Moretti un film autobiographique, où, désormais sexagénaire, il tente d’exorciser ses propres peurs d’orphelin, de père et d’artiste.
54 : Trouble Every Day, de Claire Denis (France, 2001) avec Vincent Gallo, Béatrice Dalle
Un couple de vampires qui ne peut jouir qu’en dévorant ses amants ou amantes. Déclinant un genre fécond du cinéma, s’inspirant d’Hitchcock, Tourneur et Bava, Claire Denis plonge le mythe transylvanien dans le Paris contemporain, faisant de ses succubes des young and beautiful ayant les traits sexy de Béatrice Dalle et Vincent Gallo. Le film est aussi gore que magnifique, à la fois effrayant et hyper sensuel avec son filmage érotique à fleur de peau, auscultant de près l’un des fantasmes ultimes de la sexualité qui est la dévoration de son partenaire.
53 : Boulevard de la mort, de Quentin Tarantino (Death Proof, Etats-Unis, 2007) avec Kurt Russel, Zoë Bell, Rosario Dawson
Un ancien cascadeur psychopathe traîne dans les bars un peu miteux pour “cueillir” des jeunes femmes et les tuer lors de virées mortelles dans sa Chevrolet Nova. Un soir, il tombe sur la mauvaise cible, une bande de nanas sexy elles aussi cascadeuses dont la gouaille et le débit mitraillette n’ont d’égal que leur habilité physique plus badass que la mort. Boulevard de la mort, c’est le cinéma de Tarantino réduit à son essence brute, celui d’une cinéphilie compulsive et purement jouissive, ignorant les canons et les dogmes dans un pur principe de plaisir. Coupable certes, mais seulement d’être à la fois un enfant émerveillé par les puissances du cinéma, un adolescent fasciné par le sexe et le sang, et un adulte au sommet de son art fétichiste et virtuose.
52 : Collateral, de Michael Mann (Etat-Unis, 2004) avec Tom Cruise, Jamie Foxx
Max, modeste chauffeur de taxis de nuit à Los Angeles, aurait pu poursuivre sa routine sans passion mais sans vague, rappeler Annie, jolie procureure qui lui a laissé sa carte après un flirt impromptu, manger un petit plat en observant l’éveil de la ville, et rentrer chez lui se coucher à l’aube. Sauf qu’il a accepté de prendre Vincent dans son véhicule, qui se révèle être un tueur à gages lancé dans cinq courses, liées à cinq contrats à l’issue meurtrière. Michael Mann livre un néo thriller aux airs de film noir hanté par la présence magnétique et étrangement dérangeante d’un Tom Cruise vieilli avant l’heure, une virée nocturne macabre irradiée par des visions quasi fantasmagoriques, entre sécheresse et lyrisme désespéré.
51 : Sarabande, d’Ingmar Bergman (Saraband, Suède, 2004) avec Liv Ullmann, Erland Jospehson
Le vieux maître suédois fait revivre une dernière fois Johan (Erland Josephson) et Marianne (Liv Ullman), les deux époux mythiques de Scènes de la vie conjugale. Séparés depuis trente ans, ils se retrouvent chez Johan, devenu vieux et acariâtre. Le dernier film d’Ingmar Bergman (tourné en HD !) est un adieu déchirant à ses personnages et à son cinéma : trois ans avant sa propre disparition, il décrit avec chaleur et âpreté l’imminence de la mort du corps et de l’esprit, à laquelle seul l’art (Bach) survivra.
50 : Still Life de Jia Zhang-ke (Chine, 2007) avec Ham Sanming, Zhao Tao et Hongwei Wong
Le film qui a définitivement installé Jia Zhang-ke parmi le peloton de tête des cinéastes internationaux. Situant sa fiction dans la réalité documentaire de la construction du barrage des Trois Gorges, le cinéaste pose son regard sur la mutation économique, sociale et topographique de son pays, tout en inventant une histoire d’amour ténue. D’une grande ampleur, Still Life mixe le réalisme le plus cru avec le fantastique, celui-ci étant à la fois le produit du réel (des villages entiers ont disparu sous les eaux, les rives ont changé…) et des effets spéciaux (à un moment, un vaisseau spatial décolle). Enorme, mais sans esbroufe.
49. The Brown Bunny de Vincent Gallo (USA, 2004) avec Chloë Sevigny et Vincent Gallo
Un coureur moto traverse les Etats-Unis en camionnette pour se rendre à une course en Californie. Lors de son périple, il croise des femmes. Jusqu’a rencontrer celle qu’il a aimé et qui a disparu. Leur nuit de sexe (soldée par une fellation fameuse) est peut-être une étreinte avec un fantôme. Le second long-métrage de Vincent Gallo, une déchirante errance rongée par le désert (autour de soi – à la périphérie des villes, de chaque côté des routes ; mais surtout à l’intérieur de soi, ce puit sans fond de solitude).
48 : Inglorious Basterds de Quentin Tarantino (USA, 2009) avec Mélanie Laurent, Brad Pitt, Christoph Waltz, Diane Kruger, Michael Fassbinder
En 1941, Shosanna Dreyfus voit sa famille se faire exécuter par le sinistre colonel SS Hans Landa. Réfugiée à Paris, elle se constitue une nouvelle identité d’exploitante d’un cinéma de quartier tout en ourdissant sa vengeance. Pendant ce temps, un commando de têtes brûlées juifs américains est parachuté en France avec un seul objectif : scalper du nazi. Les trajectoires de ces résistants flamboyants vont se croiser lors de la projection d’un film de propagande, à laquelle assiste le gratin des dirigeants allemands. En ouvrant son septième long métrage par un “Il était une fois… une France occupée par les nazis”, Tarantino envisage son film de guerre uchronique comme un western spaghetti reprenant l’iconographie de la Seconde Guerre mondiale. Ce récit de vengeance où la violence la plus outrée se teinte d’une dimension parodique et jouissive affirme avec panache le pouvoir qu’à le cinéma de réinventer l’histoire, notamment en brûlant au son du Cat People de David Bowie un beau panier d’ordures à l’aide d’un stock de pellicules inflammables.
47 : Les amours d’Astrée et de Céladon d’Eric Rohmer (France, 2007) avec Stéphanie Crayencour et Andy Gillet
Dans un petit village du temps des Gaules, Astrée aime Céladon et Céladon aime Astrée. Mais à la suite d’une machination menée par un prétendant d’Astrée jaloux de Céladon, la belle demande à Céladon de ne plus jamais apparaître devant ses yeux. Comment, après ce vœux que Céladon désire respecter, leur passion peut-elle survivre ? Jeu de masque et de hasard, le dernier film de Rohmer apporte une conclusion inattendue à son œuvre. Loin du film testamentaire où un réalisateur dresse un bilan de son œuvre et tente de conclure en grandes pompes, Rohmer nous livre ici un film incroyablement frais, solaire, jeune et candide. Nos deux tourtereaux se jettent à corps perdu dans un amour galant et innocent qui vient s’esquinter au contact d’un monde corrompu. A 87 ans, Rohmer s’autorise comme rarement auparavant à filmer un désir charnel qui flirte dans la scène finale avec l’érotisme.
46 : Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans de Werner Herzog (USA, 2009) avec Nicolas Cage, Eva Mendes, Val Kilmer et Xzibit
Terence McDonagh, inspecteur de police à La Nouvelle Orléans, se blesse gravement au dos en portant secours à un détenu pendant l’ouragan Katrina. Pour tenir debout et oublier la douleur, il se noie dans les médicaments et la drogue. Faux remake du film d’Abel Ferrara sorti en 1993, le Bad Lieutenant d’Herzog fait figure de plongée en eaux troubles dans le sillage d’un Nicolas Cage ambigu à souhait et constamment sur la brèche, entre exubérance jazzy et dangerosité imprévisible. Dans ce tourbillon de violence hallucinée et de visions tourmentées en forme de film noir sombre et poisseux, les séquelles de la ville font échos aux cicatrices intérieures du personnage, sans que jamais l’origine du mal qui les ronge ne soit élucidée.
45 : Speed Racer des Wachowski (USA, 2008) avec Emile Hirsch, Nicolas Helia, John Goodman et Susan Sarandon
Speed Racer, as du volant intrépide et casse-cou élevé au sein d’une famille de concepteurs automobile, découvre que la plupart des courses du pays sont truquées par un groupe d’hommes d’affaire véreux. Pour sauver l’entreprise familiale, il va devoir battre le concurrent Royalton, qui cherche à le saboter à tout prix depuis qu’il a refusé son offre, lors du terrifiant rallye “Crucible” qui a coûté la vie de son frère. Inspiré par un manga et une série animée japonaise culte, le long métrage des Washowski, porté par une distribution internationale, fait figure de fantasme geek aux airs de plaisir coupable : lumière, costumes, décors, tout n’y est que pure jouissance. Mal reçu à sa sortie, il constitue pourtant une ode virtuose à la vitesse aux airs de trip pop et psychédélique tendant presque vers l’abstraction.
44. Twixt de Francis Ford Coppola (USA, 2011) avec Elle Fanning, Ben Chaplin, Val Kilmer et Bruce Dern
Un écrivain de romans fantastiques sur le retour (Val Kilmer) se retrouve malgré lui mêlé à l’histoire de meurtre d’une jeune fille. Il va découvrir que ce crime a un lien avec sa vie. Depuis L’homme sans âge, FF Coppola a initié un cinéma étrange, volontiers ésotérique, profondément personnel. A plus de 70 ans, le vieux Coppola veut filmer en liberté, et c’est ce qu’il fait (notamment en reconstituant dans le film l’accident mortel de son fils Giancarlo).
43 : Miami Vice de Michael Mann (USA, 2006) avec Jamie Foxx, Colin Farrell et Gong Li
Adaptation d’une série américaine culte des années 80, Miami Vice, boudé à sa sortie par une partie de la presse et échec commercial, est pourtant un néo-polar d’infiltration doublé d’une romance voluptueuse qui témoigne comme Collatéral et Le Solitaire du génie de Michael Mann. Peu de réalisateurs peuvent se targuer comme lui d’être capable de réaliser des films d’une telle ambition formelle à l’intérieur de la machine hollywoodienne. Le film est habité par une fascination plastique pour le mouvement, mouvements des speed-boats filant sur l’océan, des lumières de la ville se reflétant sur le capot des décapotables, du vent agitant la chevelure de Colin Farrell dans l’inoubliable séquence finale et enfin mouvement des balles et des corps qui tentent de les éviter. Miami Vice, c’est aussi le plaisir d’un kitsch assumé propre à cette ville dont le combo moustache de gringo/cheveux longs/chemise ouverte du personnage incarné par Colin Farrell est le symbole.
42 : Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki (Sen to Chihiro no kamikakushi, Japon, 2001)
La petite Chihiro ne veut pas déménager. En chemin vers sa nouvelle maison, elle se perd dans le monde des esprits, et voit ses parents transformés en cochons sous l’effet d’un maléfice. Prisonnière d’un établissement de bains géré d’une main de fer par la sorcière Yubaba, elle va devoir apprendre à grandir pour retrouver son nom et le monde des vivants. Récit d’apprentissage en forme de voyage initiatique, ce long-métrage d’animation des studios Ghibli, plus gros succès du cinéma japonais, déborde d’inventivité visuelle. Entremêlant le réel et l’illusion, le rêve et le cauchemar, il confronte la beauté du monde et son extrême dureté dans un foisonnement poétique à la beauté inouïe. Ce conte aux mille visages, qui emprunte autant à Alice au pays des merveilles qu’aux traditions du Japon ancestral (Shinto), esquisse une critique du matérialisme contemporain ainsi qu’une ode à l’intégration par le travail collectif et aux valeurs de courage et d’entraide.
41 : La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (France, 2013) avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux
A chaque film, Kechiche semble capable de monter la mise. Après la nitroglycérine de L’Esquive et l’ampleur humaine de La Graine et le mulet, des œuvres au substrat politique évident, le cinéaste plonge dans la matière intime avec une histoire d’amour entre deux jeunes femmes. Kechiche filme avec la même minutie et la même intensité toutes les étapes de la boucle amoureuse : le processus de séduction, le feu des premières étreintes, la conjugalité, l’usure, la rupture, l’absence, puis les retrouvailles. Poussant le travail jusqu’aux zones de conflits, il tire le meilleur de ses comédiennes, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, toutes deux sensationnelles et justement récompensées (avec Kechiche) d’une Palme d’or exceptionnellement décernée à des actrices.
40 : Va et viens, de Joao Cesar Monteiro (Vai e Vem, Portugal, 2003) avec Joao Cesar Monteiro, Manuela de Freitas et Rita Durao
Au seuil de sa mort, le cinéaste génial et fou filme une dernière fois son avatar, Joao Vuvu, successeur de Jean de Dieu, veuf solitaire, philosophe, égrillard, sorte de croisement entre Sade et Nosferatu, qui cherche une femme de maison et fait passer une sorte de casting à des jeunes filles. Entre journal intime, commentaire philosofico-politique et jeux érotiques, le film testamentaire d’un cinéaste ultra singulier, irrécupérable, inassignable à la moindre ascendance ou descendance cinématographique, qui aura consacré son œuvre à sa double vie rêvée pas si éloignée de sa vraie vie.
39 : Haewon et les hommes de Hong Sang-soo (Nugu-ui ttal-do anin Haewon, Corée du Sud, 2013) avec Jeong Eun-Chae, Lee Sun-kyun et Yoo Joon-sang
Il est difficile de définir l’indéfectible plaisir qui accompagne la découverte de chaque nouveau film de Hong Sang-soo. Cette affliction pour le cinéaste tient en partie à un univers propre que l’on prend à chaque fois plaisir à retrouver, univers fait de moments d’ivresse révélateurs, de lieux sans cesse revisités, de situations gênantes camouflant des sentiments indicibles, d’un ton d’une mélancolie et d’une tendresse infinies et de moments plus contemplatifs où les personnages s’abandonnent. Dans Haewon et les hommes, le personnage principal, une jeune étudiante, s’adonne à la rêverie et au badinage amoureux avec son professeur. Subtil enchâssement entre songe et réalité, le film parvient à saisir avec une grâce extrême les battements de cœur d’une jeune femme qui cherche à vivre sa vie.
38 : Les chansons d’amour de Christophe Honoré (France, 2007) avec Louis Garrel, Clotilde Hesme, Ludivine Sagnier, Grégoire Leprince-Ringuet
C’est une histoire d’amour qui commence mal, puisque Julie (Ludivine Sagnier), la compagne d’Ismaël (Louis Garrel), meurt soudain alors qu’ils démarraient une vie à trois avec Alice (Clotilde Hesme). Ismaël, effondré, flotte un temps dans un Paris pluvieux, croise la sœur de Julie (Chiara Mastroianni, dans l’un de ses plus beaux rôles). Puis il fait la connaissance d’Erwann (Grégoire Lepirnce-Ringuet), un jeune lycéen homosexuel. Cette comédie musicale de notre époque, magnifiquement ordonnée par Christophe Honoré et son compositeur Alex Beaupain, va fêter ses dix ans et elle n’a rien perdu de sa tristesse et de sa beauté.
37 : No country for old men de Ethan et Joel Coen (USA, 2007) avec Javier Bardem, Tommy Lee Jones, Josh Brolin et Woody Harrelson
Entre polar et western, un des films les plus sombres des Coen, celui où ils en rabattent le plus question humour et déconnade, même s’il reste des traces de leur sens du détail incongru comme par exemple la coupe de cheveu de Javier Bardem. Mais le pessimisme de Cormac MacCarthy (auteur du roman dont ce film est l’adaptation) est trop puissant pour être escamoté. Une première séquence extraordinaire de scène de carnage après la bataille, prélude à une longue course-poursuite mettant aux prises un péquenaud (mal)chanceux, des gangsters, un dingue et des flics désabusés. Presque personne ne réchappe de ce jeu de massacre autour, quoi d’autre, d’une valise de cash. Peinture splendide et noirâtre de la violence américaine et de la vénalité de la nature humaine.
36 : Sils Maria d’Olivier Assayas (France, 2014) avec Juliette Binoche, Kirsten Stewart et Chloé Grace Moretz
Une actrice célèbre accepte de reprendre le personnage qui vingt ans plus tôt fit sa gloire. Elle s’isole dans la montagne avec son assistante pour préparer le rôle. Entre ce que raconte la pièce et ce que vit l’actrice, de troublantes correspondances se nouent. Un huis-clos bergmanien perché sur les cimes des Alpes suisses. Le film combine un fascinant face-à-face de comédiennes inspirées, un regard satirique aiguë sur les mécanismes les plus retors de la domination sociale et une réflexion magistrale sur le passage du temps – qui sournoisement défait tout et contraint chacun au plus difficile des deuils : le deuil de soi.
35 : Les amants réguliers de Philippe Garrel (France, 2005) avec Clotilde Hesme et Louis Garrel
Philippe Garrel se retourne sur son Mai 68. Un ballet hallucinogène et fumigène traversés de morceaux de réels. Mais 68, c’est ça : le rêve contre la réalité. Et l’amour qui naît sur les barricades dans les rues nocturnes de Paris ensoleillée par les balles traçantes, entre un jeune garçon (Louis Garrel, son fils) et une jeune fille (Clotilde Hesme).
34 : Ten d’Abbas Kiarostami (Das, Iran, 2002) avec Mania Akbari et Amin Maher
Arrivé au plus haut point d’accomplissement de son système formel avec ses grands films des années 90 (Au travers des oliviers, Le gout de la cerise), le grand Kiarostami fait peau neuve armé d’une petite caméra numérique. Une femme divorcée fait le taxi dans les rues de Téhéran et le film réussit une vue de coupe saisissante de la condition féminine en Iran au grès de ses rencontres avec des passagères. La mise en scène est réduite à seulement deux valeurs de cadre (un plan sur la conductrice, un plan sur la passagère). Comme si en déminant la place démiurgique du metteur en scène pour se mettre entièrement au service de ses actrices, le film achevait de faire un sort à la domination masculine. Un coup de force formel d’une puissance inentamée.
33 : La vie aquatique de Wes Anderson (Aquatic Life, USA, 2003) avec Bill Murray, Owen Wilson, Cate Blanchett, Willem Dafoe
Steve Zissou, c’est le commandant Cousteau incarné par Bill Murray : rêveur et dépressif. Zissou veut que sa dernière expédition soit une réussite totale. Mais son épouse débarque (Angelica Huston), une mutinerie gronde, des pirates attaquent le bateau, une jeune journaliste enceinte (Kate Blanchett) et un jeune homme (Owen Wilson) qui est peut-être son propre fils se mêlent à la “team Zissou”… Wes Anderson, à l’aise comme un enfant jouant dans son bain avec son petit sous-marin jaune, nous raconte une histoire d’aventures, de filiation, folle et poétique, bercée par les chansons de David Bowie chantées en brésilien…
32 : Mad Max : Fury Road de George Miller (USA, 2015) avec Charlize Theron, Tom Hardy et Nicolas Hoult
Oeuvre aux multiples facettes, cette superproduction réussit la prouesse de prendre à bras le corps le monde contemporain ; représentation d’un capitalisme en phase terminale, fanatisme religieux sacrificiel et dictature masculine réduisant la femme à l’état d’outil de reproduction. A la croisée du western et de l’opéra steampunk, le film impressionne par le minimalisme fou de sa structure narrative (une seule course poursuite aller-retour) qui parvient toutefois à nous tenir en haleine pendant deux heures grâce à des effets spéciaux magistraux (dont beaucoup ont été réalisés sans avoir recours au numérique) et des personnages forts. A la fois immédiatement accessible en tant que pur produit de consommation hollywoodien et œuvre complexe ayant un discours sur le monde, Mad Max : Fury Road est le meilleur blockbuster de ces dernières années.
31 : Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow (USA, 2012) avec Jessica Chastain, Chris Patt, Jason Clarke et Joel Edgerton
Kathryn Bigelow est une cinéaste qui a des couilles. Elle est non seulement la seule femme de la top A-list hollywoodienne mais elle voue une prédilection aux héros virils, aux uniformes et à l’action musclée. Pour ce film qui fictionne la traque et la capture de Ben Laden, elle a choisi pour héroïne une femme, agent au coeur du dispositif de recherche de l’ennemi public n°1, ayant un caractère bien trempé mais les traits bien féminins de Jessica Chastain. La séquence d’assaut du repaire de Ben Laden est une splendeur de rythme, de mise en place et de travail sur les limites du visible, mais le film, malgré tout son déploiement de la puissance militaire américaine se conclue sur un baby blues qui semble renverser ce qu’on a vu précédemment et mettre en doute les certitudes militaires impérialistes.
30 : Adieu au langage de Jean-Luc Godard (France, 2014) avec Heloïse Godet, Kamell Abdelli et Zoé Bruneau
En 2014, Adieu au langage est sélection en compétition officielle. Godard, à 83 ans, tourne un film en 3D. A la Godard. En décalant les images en 3D pour les mélanger, les décaler, estomper puis reproduire l’effet de relief. Personnage récurrent du film : un chien, comme si Godard se mettait en scène en vieux cabot. Faut-il rire ou pleurer ? Est-ce son dernier film ? Une oeuvre constamment inspirée, amère et drôle.
29 : Supergrave de Greg Mottoaa (Superbad, USA, 2007) avec Seth Rogen, Jonah Hill et Michael Cera
L’intrigue est pour le moins ténue : trois garçons essaient d’acheter de l’alcool pour se rendre à la fête de la fille la plus cool du lycée. Mais pas facile d’obtenir de l’alcool au drugstore quand on est mineur. Leur périple s’étend sur toute une nuit, compliqué par l’intervention de pas mal de relous, donc une paire de flics particulièrement perchés. Judd Apatow, au sommet de sa créativité, produit. Greg Mottola réalise (on lui doit aussi le beau Adventureland, avec Kristen Stewart et Jesse Eisenberg). Le film est d’une drôlerie inouïe, et puis soudainement bouleversant, comme une bromance entre ados condamnée par la fin de l’adolescence. Le plus beau teen-movie du XXIe siecle.
28 : Only lovers left alive de Jim Jarmusch (USA, 2014) avec Tilda Swinton, John Hurt, Tom Hiddleston, Mia Wasikoswka
Onzième film de Jim Jarmush, Only lovers left alive réinvente le genre du film de vampire. Il agit comme un miroir déformant. En nous narrant le récit d’un quatuor de vampires vivant en dehors du temps, le réalisateur parvient à dresser le portrait de la société contemporaine des hommes (appelés zombies dans le film). Dans un monde précipité dans un climat pré-apocalyptique par un capitalisme sauvage et dégénéré, deux êtres de sang froid s’aiment et se retrouvent. Que faire après des siècles d’existence ? Ces dandy aux dents longues mènent une vie à l’opposée de la nôtre ; solitaire, consacrée à la pensée, à la connaissance, à l’amour et à la création, une vie qui prend son temps. Doté d’une bande-son à tomber, le film vaut également pour son interprétation impeccable, son esthétique sombre et le raffinement de son univers.
27 : Comment savoir de James L Brooks (How Do You Know, USA, 2011) avec Reese Witherspoon, Paul Rudd, Owen Wilson et Jack Nicholson
Un homme d’affaire rêveur et un joueur de baseball narcissique rivalisent pour gagner le coeur d’une jeune sportive à la carrière en déclin. Entre l’intello sensible et le bourrin rassurant, comment savoir ce qui est le plus juste pour soi ? C’est tout le cheminement que doit accomplir la radieuse Reese Witherspoon, dans une comédie éblouissante de finesse et de raffinement psychologiques. Vétéran de la comédie US, auteur de seulement six films en plus de trente ans, l’orfèvre James L Brooks allie une drôlerie à feu doux à des larmoiements de mélodrame. Une petite merveille.
26 : Melancholia de Lars Von Trier (Danemark, 2011) avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Alexander Skarsgard, John Hurt et Charlotte Rampling
Alors que Justine donne pour son mariage avec Michael une somptueuse réception dans la maison de sa sœur Claire, une mystérieuse planète se rapproche peu à peu de la terre, provoquant une terreur et une ivresse de fin du monde. En se plaçant ouvertement sous le patronage esthétique de Tarkovski, Wagner et des romantiques allemands, Lars von Trier n’esquive pas la démesure. Mais son lyrisme parfois pompier devient bouleversant quand il confronte la figure de la dépressive mélancolique au nihilisme de la fin des temps, qu’il transcende par des visions poétiques incandescentes, et apaise en attendant l’apocalypse à l’abri d’une frêle cabane d’enfant.
25 : Tabou, de Miguel Gomes (Portugal, France, 2012) avec Ana Moreira, Carloto Cotta
Un explorateur rétro et dépressif est dévoré par un croco. Une vielle dame fantasque et instable toise le crépuscule de sa vie. Un de ses ancien amant resurgit des temps lointains comme un fantôme conteur d’histoires. Le film de Miguel Gomes, par sa structure binaire inattendue et ses fulgurances plastiques inouïes, raconte ces histoires, et bien plus encore. Les strates temporelles s’y entremêlent comme autant de volutes de mémoire, irisées par un romantisme qui fait danser jusqu’à l’épuisement l’amour fou avec la mort. Dans ces rêveries à mi-chemin entre le fantasme néo-colonial et le parfum doux-amer d’une jeunesse révolue, les souvenirs se conjuguent au fabulé et les images au romancé. Une œuvre à la beauté vénéneuse, qui dérive lentement, tel un poème de Rimbaud engrangé dans le mécanisme cahotant d’un vieux projecteur de cinéma, et nous plonge les yeux grands ouverts dans une entêtante rêverie sans fond.
24 : Take Shelter, de Jeff Nichols (Etats-Unis, 2011) avec Michael Shannon, Jessica Chastain
Curtis LaForche (Michael Shannon) est victime de visions paranoïaques de type catastrophique. Homme, mari et père raisonnable, il consulte des psychiatres, craignant de sombrer dans la folie qui avait détruit sa mère. Il commence aussi à creuser un abri de survie (shelter) dans son jardin. On retrouve dans ce deuxième film de Jeff Nichols les qualités du premier (Shotgun Stories) : Nichols filme des gens intelligents pris dans des tourments irrationnels qui les dépassent. Mais la fin du film, coup de force de la taille du miracle dans Ordet de Dreyer, le propulse dans une dimension supérieure : c’est un grand film.
23 : Match Point, de Woody Allen (Etats-Unis, Royaume-Uni, 2005) avec Jonathan Rhys-Meyers, Scarlett Johansson
Quand le prolifique et inégal cinéaste new yorkais se rend à Londres pour la première fois, il y signe son film le plus ambitieux, dense et maîtrisé. En narrant l’ascension sociale et les tourments intimes d’un transfuge de classe, Match Point rejoue un canevas classique empreint de tragique, entre appartements de luxe et taxis londoniens. C’est une histoire d’attirances et de jalousies, de glamour et mensonges, comme une version plus racée de son bergmanien Crimes et délits. Le choix d’acteurs aux gueules d’anges (Jonathan Rhys-Meyers et Scarlett Johansson) et une image au glacis de luxe et de contrôle tissent un voile de bienséance qu’on ne peut s’empêcher de trouer, de déchirer par des passions exacerbées et des pulsions déchaînées. On arrache sauvagement les vêtements de son amante et on troue sa voisine d’une balle de fusil, on filme un baiser comme un coup de feu et une scène de sexe comme un étranglement, avec une ambiguïté aussi glaçante que joueuse, où la chance tire les ficelles.
22 : Zodiac, de David Fincher (Etats-Unis, 2007) avec Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Robert Downey Jr.)
David Fincher a-t-il vu Memories of Murder ? Zodiac a en tout cas beaucoup de points communs avec le film de Bong Joon-ho : un serial-killer, une enquête aussi complexe qu’un labyrinthe, des pistes qui se perdent à travers les décennies… Et puis, dans l’un comme dans l’autre, alors que tout espoir de résolution était évanoui, l’assassin est peut-être là, tout proche, et cela parait subitement dérisoire. D’une virtuosité narrative bluffante, porté par une mise en scène tendue, et d’une sobriété nouvelle (après les fastes formalistes un peu clinquants de Se7en ou Fight Club), Zodiac est le film le plus abouti de son auteur.
21 : A History of Violence, de David Cronenberg (Etats-Unis, Allemagne, 2005) avec Viggo Mortensen, Ed Harris, Maria Bello
Dans une veine relativement classique, Cronenberg signe un de ses tout meilleurs films : l’histoire d’un père de famille exemplaire qui voit resurgir son passé trouble. Vu comme simple polar, A History of violence est déjà un sommet de suspens, de tension et de sécheresse coupante, mais le cinéaste amène le genre (et le personnage) vers les méandres les plus sinueux de l’identité, notamment quand ils se manifestent par la façon de faire l’amour. Qui est le vrai Tom Stall ? Celui qui baise sagement au lit ou celui qui prend brutalement sa femme dans les escaliers ? Magistralement interprété par les très sexy Viggo Mortensen et Maria Bello, ce film montre comme chez Lynch la façade illusoire et duplice de l’Amérique bien pensante et de son idéologie familialiste.
20 : L’Apollonide : Souvenirs de la maison close, de Bertrand Bonello (France, 2011) avec Céline Sallette, Adèle Haenel, Hafsia Herzi
Fascinant, hypnotique, addictif, suave et toxique comme une fleur vénéneuse, L’Apollonide s’apparente à une serre : la moiteur est tropicale et partout la fièvre opère un savant dérèglement des perceptions. Qu’est ce qui a été vécu ? Qu’est ce qui a été rêvé ? D’emblée, le film nous plonge dans un espace mental, un labyrinthe sans dehors voué à la répétition. Dans cette maison close fin 19eme, on est très loin de la légèreté pépiante du Plaisir de Max Ophuls, plus près de l’apnée opiacée des Fleurs de Shangaï. Au même niveau en tout cas que ces deux chef d’oeuvre en bordels.
19 : Millenium Mambo, de Hou Hsiao-hsien (Taïwan, France, 2001) avec Shu Qi, Jack Kao
Trip visuel sublime, le quinzième long-métrage du réalisateur taïwanais déploie des séquences hypnotiques et contemplatives auxquelles nous sommes arrachés par des plans à l’esthétique plus brute. Il décrit un monde éclaté où la jeunesse est prise entre deux pôles ; d’un côté les plaisirs évanescents de la nuit (sexe, drogue et musique) et de l’autre les contraintes matérielles du jour (chômage, difficultés à communiquer et à trouver sa place). Corps-support de cette tentative de saisir la jeunesse contemporaine, Shu Qi qui campe une jeune femme prise entre deux hommes est d’un charme bouleversant. Il faut la voir dans ce plan d’ouverture iconique, marchant au ralenti sous les néons d’une nuit sans fin.
18 : O Fantasma, de Joao Pedro Rodrigues (Portugal, 2000) avec Ricardo Meneses, Beatriz Torcato, Andre Barbosa
Le premier long-métrage de Rodrigues est un film fascinant, hypnotique. Un jeune éboueur de Lisbonne, portant des vêtements noirs moulants comme Musidora, les « rats d’hôtel » ou Fantômas, erre la nuit à la recherche de partenaires sexuels masculins. Film sur le désir, les fantômes et les fantasmes, le vol et le plaisir, le bien et le mal, c’est une œuvre extrêmement originale, qui inaugure brillamment celle à venir de JPR (Odete, Mourir comme un homme, etc. et bientôt L’Ornithologue).
17 : Film Socialisme, de Jean-Luc Godard (France, Suisse, 2010) avec Catherine Tanvier, Christian sinniger, Jean-Mart Stehlé
Triptyque, Film Socialisme marque le retour en grande forme de Godard dont le cinéma ronronnait un peu depuis quelques films. Croisière en Méditerranée sur un paquebot géant vulgaire (métaphore de l’Occident), reportage de France 3 sur une famille, puis condamnation de la politique européenne à l’encontre de la Grèce, Godard varie les styles et les motifs avec maestria et ironie pour peindre un tableau incisif du monde contemporain. On n’oubliera pas son légendaire mot d’excuse, adressé au festival de Cannes pour justifier son absence : “Suite à des problèmes de type grec, je ne pourrai être votre obligé à Cannes”…
16 : The Host, de Bong Joon-ho (Corée du Sud, 2006) avec Song Kang-ho, Byeon Hee-bong, Park Hae-il
Avec The Host, Bong Jong-hoo invente le blockbuster parfait : à la fois pétri de mythologies et hyper-contemporain, drôle et tragique, d’une ampleur opératique qui ne perd jamais en fluidité en en finesse. Son histoire de monstre marin croqueur de coréen, né du rejet de produits toxiques dans une rivière, ose le grand écart entre le film de monstres codifié façon Kaiju et la fable écolo, l’alliage entre le drame familial et le brûlot politique. C’est aussi un prétexte à une formidable galerie de personnages plus décalés les uns que les autres, drapés dans une drôlerie burlesque qui laisse transparaître leur mal-être social et personnel : Park Gan-du le vendeur de junk food immature, Nam-il l’éternel chômeur, Nam-joo la championne à l’arc qui ne sait plus viser, et l’adorable petite Hyun-seo. Ces losers sont les vrais héros du film, et leur amour les uns pour les autres n’a aucune peine à mettre KO le plus vilain des monstres.
15 : Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz (Portugal, France, Brésil, 2010) avec Adriano Luz, Maria Joao Bastos, Ricardo Pereira
Au crépuscule de sa vie, Ruiz livre son chef-d’œuvre, un objet lui-même à géométrie variable qui existe en film de deux heures et en mini-série de cinq épisodes. S’inspirant d’un roman de Camillo Castelo Branco (sorte de Proust portugais), le cinéaste chilien donne libre cours à son goût du feuilleton et des intrigues gigognes. Un orphelin en quête de généalogie croise de multiples figures de père, certaines séduisantes, d’autres inquiétantes, parfois les deux, des personnages aux identités doubles, qui glissent d’un rôle à l’autre, de même que le récit emprunte de multiples bifurcations et histoires secondaires, filmés par une caméra fluide qui se faufile partout avec l’aisance d’un passe-murailles. Décors, lumières et costumes sont splendides, Ruiz ayant le génie de donner une sensation d’opulence à son cinéma avec des budgets modestes. On jouit de se perdre et se reperdre dans ces mystères romanesques, foisonnants, malicieux qui incarnent et couronnent toute une vision du cinéma et de la vie.
14 : Under the Skin, de Jonathan Glazer (Royaume-Uni, Etats-Unis, 2013) avec Scarlett Johansson
Réalisateur de clips et de publicités avant de passer à la réalisation de film, Jonathan Glazer a réalisé l’une des films les plus saisissants de ce début de siècle. Œuvre de science-fiction à tendance expérimentale et minimaliste, Under the Skin raconte la trajectoire d’une alien venue sur terre pour séduire des hommes et les réduire à l’état de simple épiderme en les plongeant dans un étrange liquide. Expérience sensorielle et rencontre inattendue entre le coté chirurgical et toxique de 2001, l’odyssée de l’espace et l’inquiétante étrangeté atmosphérique de Stalker, le film contient quelqu’unes des images les plus sidérantes vues ces dernières années au cinéma ; une peau humaine dérivant tel un sac plastique dans le courant ou Scarlett Johansson, travestie en brune, star descendue du ciel parcourant les rues et faisant monter de (véritables !) passants à bord de son camion pour leur proposer de coucher avec elle.
13 : Elle, de Paul Verhoeven (France, Allemagne, 2016) avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Anne Consigny, Charles Berling
Livrant sa vision d’un roman de Philippe Djian (Oh…), Verhoeven brosse le portrait d’une femme puissante qui prend plaisir à coucher avec son violeur. Avec un tel pitch, nulle surprise à ce que le cinéaste aille gratter les limites du politiquement correct et c’est peu dire qu’il s’en donne à cœur joie. La famille, la bonne société sûre d’elle-même et de sa vertu, voire le cinéma français, tous passent à la moulinette Verhoeven qui y va gaiement dans la transgression, sans scrupules mais sans volonté de choquer pour choquer. Ce qui énerve le cinéaste, c’est l’hypocrisie de la moraline dont il dissèque et retourne les tenants. Il montre aussi que la sexualité d’un être ne rentre pas nécessairement dans le moule de la morale majoritaire, que le désir est au contraire fondé sur des fantasmes transgressifs. C’est par ailleurs très drôle, splendidement mis en scène et Huppert est génialissime. Et pour ceux qui verraient dans ce film un objet machiste, anti-femme, pro-viol, ou autres bêtises, rappelons que ça se termine par le plan de deux femmes joyeuses qui survivent à la médiocrité et à la brutalité des hommes.
12 : Spring Breakers, d’Harmony Korine (Etats-Unis, 2012) avec James Franco, Vanessa Hundgens, Selena Gomes, Hashley Benson, Rachel Korine
Quand Harmony Korine, réalisateur de cinéma underground tendance surréaliste (Gummo), décide de faire un film sur le mythe hédoniste de la jeunesse américaine, les “spring breaks”, ces vacances durant lesquelles filles et garçons se donnent rendez-vous dans une ville pour faire la fête en maillot de bain, se droguer, draguer, boire et dépenser de l’argent, on s’attend à un objet expérimental et ouvertement critique. Mais le pari du film est tout autre. Harmony Korine s’empare non seulement d’un sujet “beauf”, mais également d’un traitement “beauf” et du casting qui va avec (Skrillex à la bande-son, deux teen stars Disney : Selena Gomez, championne d’Instagram, et Vanesse Hudgens) pour les faire subtilement imploser de l’intérieur. Spring Breakers est un cheval de Troie, le grand détournement du rêve de la jeunesse américaine poussé jusqu’à l’absurde. En allant jusqu’au bout de la bêtise, du fantasme consumériste, d’une esthétique publicitaire, le réalisateur parvient, non sans une certaine poésie satirique, à saisir la pornographie d’une époque.
11 : L’Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie (France, 2013) avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick D’assumçao
Un été, au bord d’un lac isolé baigné par un soleil de plomb où le temps semble s’être suspendu, des hommes se croisent et se rencontrent, partagent leur intimité et leurs désirs. Frank, jeune habitué des lieux, s’y lie d’amitié avec le discret et mélancolique Henri, et fantasme sur l’inquiétant et magnétique Michel. Quand survient un événement tragique, l’attirance se mêle à la peur et le sexe à la mort, sous la présence hypnotique du lac. Dans une image qui mêle subtilement miroitement et scintillement du soleil sur l’eau du lac, ombres mouchetées des feuillages sur les amants dénudés, caresses des corps et tressaillements des chairs, le film tisse avec l’acuité et la tension d’un dispositif minimaliste un conte d’amour et de mort où la lumière et l’obscurité s’entre-dévorent.
10 : Two Lovers, de James Gray (Etats-Unis, 2008) avec Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw
Leonard (Joaquin Phoenix) est un brave gars de la communauté juive de Brooklyn, un petit peu trop fragile. Sa mère (terrifiante et géniale Isabella Rossellini) veut le marier avec la fille de l’associé de son père – une belle brune intelligente (Vinessa Shaw). Tout roule. Mais Leo fait la connaissance de la blonde et sensible Michelle (Gwyneth Paltrow), et tombe fou amoureux d’elle. Inspiré de Nuits blanches de Dostoïevski, Two Lovers est un film de passion très classique dans sa forme, mais si tenu, maîtrisé dans sa mise en scène au bord du fantastique qu’il en atteint au génie.
9 : Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, 2010) avec Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas
Apiculteur, Oncle Boonmee sait qu’il va bientôt mourir. Il se retire dans une ferme de montagne où l’on prend soin de lui. Des fantômes et des scènes de sa vie antérieure lui apparaissent. La Palme d’or de Weerasethakul, la plus belle depuis le début de ce millénaire sans doute, fut décernée par le grand Tim Burton. On retrouve dans Oncle Boonmee une synthèse parfaite tous les thèmes et figures du cinéma de notre cinéaste thaïlandais préféré : la maladie, les fantômes, l’humour, l’érotisme, l’animalité, bref, la jungle qui grouilles de mille vies et de mille morts. Sublime.
8 : A.I. Intelligence Artificielle, de Steven Spielberg (Etats-Unis, 2001) avec Haley Joel Osment, Jude Law, Frances O’Connor
Au début des années 2000, l’inspiration de Steven Spielberg atteint une cime, jamais atteinte par avant, plus retrouvée par la suite. A.I., Minority Report et Catch me if you Can constituent une trinité spielbergienne parfaite (donc La Guerre des mondes serait extension). Les grands motifs spielbergiens de l’abandon, du désaveu parental, de la déchirure familiale atteignent dans A.I. une incandescence pathétique inouïe. Par un jeu d’inflammation de tous les affects, ce trajet d’un petit robot orphelin qui court après l’amour maternel dans l’immensité du monde, puis dans l’immensité du temps, est un des films les plus déchirants du monde. Même la fin de la civilisation, l’Apocalypse, la bascule dans une nouvelle ère glaciaire ne peuvent avoir raison de la demande d’amour d’un enfant.
7 : In the Mood for Love, de Wong Kar-waï (Hong-Kong, 2000) avec Tony Leung, Maggie Cheung
Septième long-métrage du réalisateur hongkongais, In the Mood for Love parvient comme aucun autre film à saisir les fragments d’un état amoureux. Ballet virtuose et lancinant des corps qui se frôlent, se regardent, s’effleurent, s’espèrent, se regrettent, souffrent et aiment, le film marque une forme de maturité classique dans la filmographie de Wong Kar-wai. Solistes de cette danse mélancolique, Maggie Cheung et Tony Leung semblent à chaque seconde sur le point de ployer sous le poids des affects qui les traversent. Au bord d’un monde, ils vacillent, se soutiennent et finissent par tomber ensemble, car l’amour est un saut hors de soi.
6 : Tropical Malady, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, 2004) avec Banlop Lomnoi, Sakda Kaewbuadee
Une chasse à l’homme dans la jungle tropicale devient chez le cinéaste thaïlandais une aventure intellectuelle et charnelle, une œuvre magnétique à laquelle le spectateur s’abandonne, entre raison et déraison, éveil et somnambulisme. Comme dans Mulholland Drive, le couple d’amoureux tombe dans un trou ou traverse une boite noire, et n’en ressortira que transfiguré. L’idylle vire au cauchemar. L’extase sentimentale vire horrifique. Et le bel amant devient un dangereux tigre qui bientôt tranchera de ses crocs et de ses griffes celui à qui il faisait l’amour hier encore. Apichatpong Weerasethakul classe 4 films dans ce classement. Ce qui en fait notre champion. Who else ?
5 : Gerry, de Gus Van Sant (Etats-Unis, Argentine, Jordanie, 2002) avec Casey Affleck, Matt Damon
Avec juste deux acteurs et un désert, Gus Van Sant signe une splendeur autant conceptuelle et théorique que simple et prosaïque. Deux amis donc, dont la randonnée se transforme en lutte de survie, en cheminement existentiel. Aucune explication à cette virée, aucune donnée sur le passé des protagonistes, seules comptent les données les plus concrètes : comment escalader un pic, en descendre, comment joindre un point à un autre, comment économiser l’eau et les forces, etc ? Pour dynamiser ce matériau austère et minimal, Van Sant a recours à toutes les ressources de son imaginaire, de son talent et du cinéma : musique, sons, accélérations de l’image, philtres photographiques, dilatation du temps… Il parait que le désert finit par provoquer des hallucinations, des distorsions de la perception. Ce film produit le même genre d’effet.
4 : Rois et reine, d’Arnaud Desplechin (France, 2004) avec Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Catherine Deneuve
Construit comme un diptyque, le film suit deux personnages. Nora (Emmanuelle Devos) doit se marier avec un homme riche et lointain mais, en attendant, elle tient compagnie à son père malade et se bat avec l’administration pour que son fils ait un père. Ismaël (Mathieu Amalric), musicien dépressif et endetté jusqu’au cou, est lui interné de force dans un hôpital psychiatrique. A la fois drôle, inventif, complexe, tragique, touchant et profond, le film brille par sa mise en scène virtuose et sa justesse. Outre une direction d’acteur impeccable, on retrouve les thèmes chers au réalisateur ; le plaisir du romanesque sur fond de psychanalyse et de questionnements sur le couple, le deuil, la filiation et les rapports hommes-femmes. Desplechin est au sommet de son art.
3 : Elephant, de Gus Van Sant (Etats-Unis, 2003) avec Alex Frost, Eric Deulen, John Robinson
Une journée en apparence banale dans un lycée américain typique. Un passionné de photographie réservé s’exerce, entre le parc aux teintes automnales et l’obscurité enveloppante de la chambre noire. Une jeune fille quitte ses habits de sport pour aller travailler à la bibliothèque. Deux garçons d’ordinaire rejetés préparent une fusillade. En se focalisant sur les gestes et en épousant tour à tour le point de vue de différents personnages, sans visée démonstrative, pour transcrire en images et en sons l’incompréhension et la douleur de la tuerie de Columbine, le récit prend une couleur d’allégorie. La jeunesse et un labyrinthe aux murs de frustration et aux détours d’espoir, aux allées d’amertume et aux issues de violence. Gus Van Sant plonge ses corps adolescents dans un ballet sans fin qui les rend insaisissables, constamment sur la brèche ; ils entrent dans le plan comme un murmure et s’en échappent tel un soupir. Un grand film hanté par des fantômes en sursis.
2 : Holy Motors, de Leos Carax (France, Allemagne, 2012) avec Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes, Michel Piccoli
Plus de treize ans après l’échec public de Pola X (1999), Leos Carax force la porte du 21eme siècle avec un film aussi inouï et fulgurant qu’un éclair striant la nuit de nos songes cinéphiles. Le film est un jour de Toussaint, où le cinéaste rend visite à ses morts, un jeu de l’oie parmi des tombes. On y croise King-Kong et Jean Seberg, Etienne-Jules Marey et Samuel Beckett, Henri James et Georges Franju (à qui sont dédié le film). Mais surtout le Holy Mort, mort sacré parmi tous les autres : le cinéma himself, en train d’agoniser, du moins sous une de ses formes – l’enregistrement. L’animation numérique le cerne (sidérante séquence de combat en performance capture) et la possibilité d’un cinéma sans caméra se fait jour. “Les caméras me manquent. Avant elles étaient plus hautes que nous, maintenant elles sont plus petites…” entend-on au détour d’une scène. Et pourtant, divine surprise, cette promenade parmi des ruines n’est en rien crépusculaire. La mélancolie est sans cesse pulvérisée par une force de proposition stupéfiante, un cocasserie absurde, une drôlerie poétique. A chaque image qui disparaît, Carax substitue une image neuve, tonique. “On voudrait revivre” chante Gerard Manset dans une scène poignante. Opération réussie.
1 : Mulholland Drive, de David Lynch (Etats-Unis, France, 2001) avec Naomi Watts, Laura Harring, Justin Theroux
Le grand film du XXIème siècle est survenu très tôt, dès 2001. On se souvient encore de notre état de sidération totale au sortir de la première projo. On était en mode “waow ! a-t-on bien vu ce qu’on vient de voir ?”, avec l’envie d’y retourner séance tenante – c’est le mot. Ou plutôt, séance tenaillante. Tout est fabuleusement séduisant, flippant, surprenant dans ce film : son récit en torsade réversible, sa peinture magique et anxiogène, fantasmatique et réaliste de Los Angeles et de son usine à rêves, sa photo satinée, sa musique sublime et inquiétante, ses actrices dont chaque geste, chaque inflexion de voix est érotique, ses bizarreries et inventions totalement inattendues (le bal 50’s du prologue, le monstre derrière le coffee-shop, le nain qui dirige souterrainement le studio, la boite bleue, le cowboy, le Silencio, l’inquiétant couple de vieux…), son bazar de fétiches de l’Americana… A chaque minute, Mulholland drive est une vision, une illumination dont la puissance érogène et anxiogène (c’est la même chose) est totale. Ce film semble directement prélevé dans un rêve ou un cauchemar de l’auteur, ce qui se rapproche d’une définition idéale de ce qu’est le cinéma.
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