Miséricorde

Mon CL
  • Connectez-vous
Outils
  • Connectez-vous
Gestion
  • Connectez-vous
Commentaires
28/10/2024 10:41:42
Avis

Guiraudie n'en a pas fini de surprendre son monde, c'est une certitude. Il emprunte aussi bien à Pasolini (le jeune garçon qui attise les passions dans un cadre d'apparence puritain), qu'à Chabrol (pour sa dépiction doucement satirique de meurs provinciales) ou même au Hitchcock de Mais qui a tué Harry ? (pour la collision saugrenue entre insouciance automnale et bas instincts de l'humanité), avec un résultat qui n'appartient pourtant qu'à lui. Miséricorde est imprégné de tous les topics habituels du cinéaste, présentés dans une sorte d'aboutissement formel qui entretient savamment le délicieux mystère de ses personnages comme de ces sous-bois teintés d'une aura fantasmatique. Le film se vit comme une sorte de cauchemar métaphysique pourtant non-dénué de tendresse, et comme une exploration de dilemmes moraux existentiels pourtant non-dénuée d'humour. Le cinéma de Guiraudie fait voyager son spectateur par tout le spectre des émotions et c'est en cela qu'il se révèle des plus précieux. Son meilleur film.
22/11/2024 18:29:36
Avis

Quel drôle de film que ce Miséricorde signé par un auteur particulièrement singulier et rafraîchissant dans le paysage du cinéma français contemporain. Guiraudie s'amuse des codes du policier hexagonal en apportant une étrangeté de ton et de situation et en insufflant ses obsessions et notamment le désir masculin. Le spectateur sera continuellement surpris et déstabilisé par ce qu'il regarde. L'étrangeté est d'autant plus prégnante qu'elle s'inscrit dans une petite commune identifiée et bien ancrée dans le réel d'une province légèrement isolée. Peut-être le début de la réconciliation entre Alain Guiraudie et moi. En tout cas, ce film est une belle réussite et certainement une porte d'entrée davantage accessible à sa filmographie.
30/12/2024 02:54:17
Avis

Je garde un souvenir compliqué de Rester Vertical, l’un des quelques films à m’avoir complètement laissé sur le carreau au sortir de la salle. Je ne peux pas vraiment dire que j’aie aimé ou que j’aie compris où voulait en venir Guiraudie, n’empêche qu’il m’en reste des images, des sensations encore des années après. Miséricorde vient un peu titiller les sens de la même manière, pourtant j’ai cette fois été beaucoup plus réceptif.

On reste sur un cinéma absolument singulier. Le cinéaste a une approche très libre qui est sans doute sa plus grande force, se refusant à guider l’interprétation mais aussi les sentiments du spectateur. On est plongé dans une espèce de soap opera campagnard où untel est amoureux d’untel, qui a lui-même un passif romantique avec un autre personnage, dont un autre est jaloux…

Bref c’est un gros bordel et si le film s’amuse régulièrement de ces situations en jouant sur des ressorts comiques souvent imrobables, il va aussi se servir de ce tissu relationnel pour donner une fibre tantôt tendre et tantôt sacrément amère à son récit. Le film parle d’amour, de sa nature à la fois inconditionnelle et imprévisible, met tout ça en parallèle avec la notion de religion et de culte qui semble obséder le cinéaste, et tout cela passe notamment par ce personnage de prêtre assez génial et qui a droit séparément à la fois aux scènes la plus touchante, la plus drôle et la plus inquiétante du film.

Il y a cette histoire de crime qui est amenée de manière totalement abrupte, qui donne au tout des airs de thrillers et pare tout le récit d’une tension permanente, et en même temps l’enquête prend parfois des proportions tellement absurdes avec le personnage constamment obligé de trouver des justifications de plus en plus improbables que ça en devient drôle. Et la violence et la mort sont traitées comme l’amour : de manière à la fois irrationnelle et évidente, elles habitent notre quotidien.

J’ajouterais que j’adore tout l’habillage visuel du film. Guiraudie n’a pas forcément recours à des effets de mise en scène très marquants et pourtant son cinéma ne ressemble à aucun autre. Et les images du film me restent en tête, cette campagne grisâtre, ce motif récurrent de la cueillette au champignon qui donne presque un côté conte morbide à l’histoire, les scènes nocturnes et leurs surgissements…

L’un des films les plus singuliers de l’année et je suis content d’avoir aimé à ce point.
14/02/2025 03:18:29
Avis

Je n'ai jamais été déçu par Alain Guiraudie et ce n'est pas par ce Miséricorde que je vais commencer. C'était sans doute le film que j'attendais le plus en 2024 (avec l'Empire) et qui a pris son temps pour enfin sortir en VOD. Comme toujours, c'était très bien.

Après un épisode à Clermont-Ferrand, où Guiraudie s'est un peu expatrié, voici qu'il retourne dans le sud de la France en plein automne, choix surprenant pour lui qui a l'habitude de filmer l'été. Donc même si on retrouve toujours ses marottes, on sent qu'il a envie de varier un peu les plaisirs depuis deux films, c'est peut-être ce qui explique en partie sa longue pause entre Rester vertical et Viens je t'emmène.
On a encore une fois une histoire d'un homme d'un âge indéterminé, sans doute dans la trentaine qui se retrouve à entretenir des relations plus qu’ambiguës avec tout un tas de mecs d'âges plus que variables. C'est ça qui est beau chez Guiraudie, l'amour n'a pas de frontière, il ne se conforme à aucun attendu. On est dans un univers où tout le monde est homosexuel ou bien homosexuel refoulé et où derrière chaque regard se cache une certaine tension sexuelle. Ce qui, bien évidemment, ne manque pas de causer quelques situations très drôles.

Parce que oui, Miséricorde, s'il est un film sur la culpabilité et le pardon, n'en reste pas moins un film qui arrive à créer de vrais moments de drôlerie de par son décalage.

On suit donc notre héros guiraudien qui arrive dans un village qu'il connaissait plus jeune, où il a travaillé, mais bien vite on sent que quelque chose ne va pas. On est entre As Bestas et Théorème. Tout le monde semble attiré par lui et fasciné, mais bon on le buterait bien quand même parce qu'il vient un peu déranger le calme du village. Il y a plusieurs scènes où on ne sait jamais si ça va partir en cul ou bien en meurtre tant on sent une certaine tension sexuelle s'inviter entre les personnages, tension sexuelle que tous les perso, par ailleurs, n'assument pas.

J'aime cette ambigüité... on ne sait jamais sur quel pied danser.
Et puis vient le tournant du film, ce qui permet de rajouter un peu de chaos à cette ambiance tendue et sexuelle. Ce qui est bien c'est qu'on voit tout de suite que le héros est le coupable idéal, on voit bien qu'il n'est pas possible que personne n'ait de soupçons sur ce qu'il a vraiment fait dans la nuit de mardi à mercredi. Et pourtant tout le monde joue son petit jeu, tout le monde fait semblant... et surtout l'abbé de la paroisse. Second moment marquant du film, ce petit homme d’Église très discret jusque là qui tout à coup après une séquence de confessionnal absolument brillante car totalement inversée, se met à prendre tout la place dans le film, jusqu'à en devenir l'un des personnages principaux.

L'intérêt du film devient alors de manière instantanée ce curé et sa relation avec le héros.
J'apprécie tout particulièrement la montée en puissance de cette relation... comment elle monte en puissance... et comment en parallèle la relation avec le personnage joué par Catherine Frot se détériore, devient de plus en plus malsaine et bizarre.

On est sur un film avec très peu de personnages, il doit y en avoir 6 à tout casser qui font réellement quelque chose et il n'y a rien qui est simple, il n'y en a pas une seule qui n'ait pas sa dose d'ambigüité... Et en parlant d'ambigüité, que dire de la fin ?

En fait Guiraudie avec son microcosme installe sa petite ambiance mi-inquiétante, mi-drôle (et 100% sexuelle) et s'amuse avec ses personnages, s'amuse à tout rendre ambigüe. Et finalement le curé devient le personnage le moins trouble de tout ce merdier puisque lui ses intentions sont claires, exprimées... même si... C'est pas si simple. J'aime beaucoup le fait qu'il sorte à un moment le héros d'un mauvais pas, mais qu'il en tire une certaine satisfaction sexuelle. C'est une scène très drôle, mais on voit aussi que même lui, l'homme d’Église, ne fait pas le bien pour le bien. D'ailleurs est-ce le bien ?

Guiraudie, comme à chaque fois, se place en dehors de la morale, il montre ses personnages comme ils sont, avec leurs défauts et leurs désirs, ce qui les rend attachants. On ne juge personne, on comprend et même on aurait envie que ceux qui ont fait quelque chose de "mal" s'en sortent.

En tous cas Guiraudie livre là encore un très bon film et reste définitivement l'un des meilleurs cinéastes en activité.
24/02/2025 22:24:09
Avis

Ce film de Giraudie présente une fois de plus des gens dans le sud de la France, majoritairement des hommes avec des fortes tendances homosexuelles. On suit Jérémie qui remonte dans son village natal pour les funérailles du père de son ami d'enfance. Seulement cela va mal se dérouler, il va se prendre le chou avec son ami, se battre avec lui, d'abord pour rigoler, puis moins, puis cela va devenir un règlement de compte et Jérémie finira par tuer son ami d'enfance, sans raison apparente puisqu'il avait déjà gagné le combat. La question étant évidemment: mais doit il se rendre? Il sent la culpabilité le ronger, la peur de faire des erreurs, de se faire prendre en traître par les gendarmes. Doit-il aller en prison, lui qui semble si normal, si doux, si aimable?

J'ai énormément apprécié ce film, d'une part pour cette tension homosexuel entre tous les hommes qui entrent dans le champ d'action de la caméra. C'est absolument fascinant, "tous les hommes sont homosexuels" voudrions nous dire en regardant ce film. Quand Jérémie essaye de coucher avec Alex (j'ai un doute sur le nom), et qu'il se fait chasser, menacer par ce dernier avec un fusil, le foutant à poil dehors, lui tirant dessus pour qu'il aille s'habiller plus loin, c'est absolument délicieux comme moment.
J'aime également ce moment où Jérémie se bat avec Vincent, à chaque bagarre c'est l'autre qui prend l'ascendant, jusqu'à ce que Jérémie se défende en attrapant une branche sur le sol: il frappe Vincent qui s'écroule: Jérémie a gagné. Cependant ce n'est pas suffisant, on ne sait pas ce qui se passe en lui, mais, après cet harcèlement de son ami, pendant une semaine, il craque, prend une lourde pierre, dans un plan presque en suspens, comme si ce qui se passait était grave, et frappe son ami à l'arrière du crâne. Il doit ensuite l'enterrer, se dépêcher, prendre sa voiture et la cachée quelque part avant de revenir chez la mère de son ami (qui l'héberge). Le plan où Vincent est allongé, en parallèle d'un immense arbre est aussi signifiante, comme la fin d'une chose, d'une vie, le début de la fin pour Jérémie.
J'aime également ces séquences où Jérémie rencontre le prêtre dans la forêt, à l'exacte endroit où Vincent est mort, où poussent des morilles. D'ailleurs une scène montre la plupart des personnages manger une omelette aux morilles, préparées par la mère de Vincent grâce à celles ramassées par le prêtre. On voit que cela met Jérémie dans un état de malaise profond de manger ces morilles. Ces rencontres sont toujours pleines de métaphysique je trouve, comme si Dieu jetait un sort à Jérémie, lui disant: je sais ce que tu as fais.
De même, j'aime énormément le passage dans le confessionnal, lorsque Jérémie, en partie désespéré, se rend à l'Eglise et le prêtre lui dit: j'ai besoin de me confesser. Il le prend par le bras, le met à la place du prêtre et lui du pécheur. Il lui dit qu'il connait le nom du tueur et ne l'a pas dénoncé auprès de la gendarmerie, et confesse son homosexualité et son attirance pour Jérémie. Je trouve cette scène hilarante, que tout ceci se passe aussi vite, que le tueur soit mis à la place du prêtre, qu'il soit rassuré dans sa conscience car il n'est pas un tueur. Suit un dialogue sur la prison : est-ce que c'est utile de mettre des gens en prison? Faut-il punir les gens? Est-ce qu'un crime fait un criminel, un danger pour la société?
J'aime également la scène où Jérémie hésite à se suicider, face au montagnes, dans une sorte de brouillard: il ne sait plus où il en est. C'est le prêtre qui viendra à son secours, le ramènera au village. D'ailleurs, il le sauvera une fois de plus, lorsque les gendarmes viennent l'interroger pendant son sommeil (presque de manière similaire à ce que Vincent a fait à plusieurs reprises avec Jérémie d'ailleurs). Il l'accueillera dans son lit, à poil, pour montrer aux policiers qu'ils sortent ensemble. Une fois de plus cette scène est magnifiquement faite, elle m'a faite rire, de voir ce prêtre nu, insultant un gendarme en disant que c'est une violation infame que de regarder si Jérémie était nu aussi sous la couette.

Enfin, en dehors des scènes elles-mêmes, il y a plusieurs éléments de mise en scène qui m'ont réellement marqués dans ce film. D'une part, je veux parler de l'utilisation du vent, en particulier au début du film, comme pour montrer qu'il y a des choses, qu'on remue des souvenirs du passé, en particulier lors de la première rencontre avec Alex. Ont-ils déjà eu une relation auparavant? Peu probable mais toujours est-il que ce vent est là, montre que des choses existent entre eux, ont existé. Le vent est ici presque une marque de l'indicible, comme dans la scène où Jérémie pense à se suicider: il hésite, il remue les choses dans sa tête, sa décision n'est pas prise, il est immobile dos à la caméra, inaccessible et pourtant le vent est là, dit quelque chose, lui murmure de rester. Peut-être que l'œil de Dieu n'est pas si mauvais après tout?
L'autre élément est la proximité de la caméra, qui je trouve installe une ambiance intimiste: on ne veut pas que cet homme aille en prison car on l'a suivit, de près, de très près, lui qui se déplace dans la forêt, se déplace en direction de la caméra et prend l'ensemble de l'écran. On ne le quitte rarement des yeux et si on le fait, c'est pour mieux revenir sur lui.

Bref, j'adooore ce film, Guiraudie nous montre encore ses capacités de mise en scène magnifique.
09/03/2025 19:59:50
Avis

Difficile d'occulter la veine dans laquelle s'inscrit Guiraudie avec "Miséricorde". "Théorème" de Pasolini mais aussi toute l'œuvre de Chabrol, qui a lui même des relents hitchcockiens dans la dissimulation du mensonge et l'acceptation du meurtre.
Ce qu'arrive à faire Guiraudie n'est pas donné à tout le monde. En partant d'une histoire "simple", il arrive à créer une cavale circulaire, une fuite qui reste sur place. Cet homme attirant, Félix Kisyl, presqu'androgyne revient dans son village d'enfance dans l'objectif de conquérir. Il vient d'ici, mais tout dans son comportement le trahit, et le rend étrange, le faisant évoluer comme le mal qui rôde.
Comme chez beaucoup d'autres cinéastes, notamment Pasolini ou encore Dumont, Guiraudie fait acter le personnage principal, sans nous donner les clés de sa pensée intérieure, le rendant plus objet du désordre que véritable humain de raison. Son corps nous est autant familier que commun, mais chacun de ces mouvements dans cette dense foret d'automne nous tient en haleine tant sa psychologie en paraît le reflet. Pluie, partenaire de crime insensé.
L'on pourrait même le faire dialoguer avec la personnage principale d' "Under the Skin" de Glazer tant sa figure nous paraît antihumaine (même si elle finit par s'extraire de cette anti-humanité).
En se pârant de beaucoup de réels, Guiraudie nous fait adhérer par la force des choses à une histoire creuse de sens en son centre. Jérémie est hors réel, il est pure entité, tandis qu'il évolue dans un monde terre à terre, ancré dans le Sud-Ouest. Le premier dialogue entre Jérémie et Walter donne le ton d'un très bon film qui s'annonce, dans la volonté d'avancer d'un côté, et la crainte du solitaire de l'autre. Dans le jeu, c'est parfait.
Cette bête du mal, cette objet de cinéma arrive à ses fins en survivant le père, tuant le fils - et s'acoquinant avec le "saint esprit" ? Le film sur la fin déplace son axe pour nous ouvrir quelque peu les portes de la pensée de Jérémie en le faisant parler avec le curé. Hommes d'église que Guiraudie traite partiellement à la Pasolini. Partiellement car je dirais qu'il va même au-delà en créant une nouvelle forme d'Amour (prouvant bien que Jérémie n'est pas un simple humain), derrière l'envie du corps, décadente et provocatrice que pourrait donner un Pasolini. Le curé est la clé, et sa religiosité n'est pas salie dans le crime, non, il "s'arrange avec sa conscience" comme il dit, ne reniant ni l'un ni l'autre. Êtres vivants contradictoires.
Ce que je retiens du film c'est sa sobriété dans les plans (cela ne veut pas dire que c'est laid, c'est superbement composé, et les couleurs sont vivaces, mais rien ne point), un rythme et une distance trouvée pour raconter la manipulation sociale : peu d'éclats en quelque sorte, donnant peu l'occasion de détourner son regard. Sommes nous capable d'accorder, à cet homme, cette miséricorde ? Lui qui a volé les places et redéfinit l'ordre ?