Hong Sang-Soo fait parti de ces réalisateurs dont le style est directement reconnaissable, sans pour autant être démonstratif, il est d'une évidence, et cela depuis plusieurs années maintenant, que le monsieur a trouvé son style, son esthétique, et qu'il ne faudra pas s'attendre à des prouesses techniques, à une démonstration visuelle, de sa part.
Mais parlons-en de son style, quelle est l'empreinte visuelle du cinéma de Hong Sang-Soo ? Le plan fixe. Une scène de Hong Sang-Soo, la scène manifeste pourrait-on dire, sera composé d'un ou de plusieurs personnages, rarement plus de 5, lors d'une discussion, caméra à hauteur d'hommes, nous prenant ainsi à l'intérieur de cette discussion, et celle-ci ne se coupera pas, tant que la scène n'est pas fini, ou du moins tant qu'il n'est pas nécessaire (les multiplications de lieux au sein d'une même scène sont rares dans son cinéma) de changer de plan. Cette empreinte visuelle, Hong Sang-Soo la traîne depuis plusieurs années, si bien que l'on pourrait presque dire que voir un de ses films, c'est les avoir tous vu, tant le plan esthétique est le même. Pour autant, cela serait oublier un point essentiel de son cinéma : le contenu de ce qui se joue. Cette façon de faire permet à Hong Sang-Soo d'ancrer ses discussions, ses scènes, au sein d'une réalité concrète : ne pas couper c'est laisser du réel s'immiscer dans le plan, dans le cadre, dans le film. Les discussions semblent et sonnent tout aussi vaines et futiles que, parlons concrets, les nôtres, celles que nous pouvons avoir chaque jour. Hong Sang-Soo ne fait pas de cinéma, proprement parler, narratif, dans le sens où le film ne se compose pas de la trame du bon petit scénariste (situation initiale, éléments perturbateurs...), mais de rapports purement humain, une scène, comme c'est le cas dans le film dont je fais actuellement la critique, peut très bien parler pendant 10 minutes d'un chat, d'une recette de pâtes, ces mêmes discussions seront entrecoupées de silences, de pause, de moments d'hésitations, tout ce qui ponctuent les discussions humaine, retirant l'illusion, mise en place par le cinéma grand public, de la fluidité des dialogues, pour revenir à ce qui sonne vrai. Et si nous parlions du chat il y a peu, il est important de noter que dans ce fonctionnement là, le chat est libre. Le chat évolue librement, disparaît de temps en temps, revient au milieu du plan, ce dernier est un être libre au milieu du dispositif de Hong Sang-Soo, il est l'autonomie, il ajoute, ce faisant, un touche d'aléatoire, et donc de réel, à la scène qui se joue.
Si nous prenons pour exemple la scène du shi-fu-mi alcoolisé, la scène va prendre son temps pour montrer chaque manche du jeu, les personnages hésitants, les micro-malaises se créant lors des silences dû à la consommation de l'alcool, tout cela filmé à la hauteur des personnages, autour d'une table, nous joignant à la scène. Nous ne sommes pas de spectateurs regardant un aspect du réel (ou du moins d'une tentative de s'en rapprocher) nous prenons part à la scène. Nous sommes face à une création concrète, où l'esthétique est au service d'une volonté cinématographique.
Nous pourrions dire que De nos jours... pousse même ce rapport au réel encore plus loin, puisque le film alterne entre deux lignes narratives différentes, qui ne se rejoindront jamais, et dont les accroches thématiques ne sautent pas aux yeux. Comme si le film avait décidé de capter ces deux instants, et de les lier par la seule force du montage, comme un réalisateur de documentaire pourrait lier plusieurs scènes de vie les unes à la suite des autres dans le seul but de nous montrer le quotidien de ces gens.
Si nous devions aborder le rapport humain, c'est évidemment dans toute sa dimension et dans le spectre le plus large, puisque chaque scène de Hong Sang-Soo se retrouvent ponctuées tantôt d'une véritable joie de vivre, tantôt d'une légère mélancolie, généralement s'immisçant dans une scène par un regard qui se perd, par un léger rire nerveux, ou tout simplement parce que la scène montre, notamment le rapport à l'alcool, extrêmement présent chez le réalisateur, qui, de par son utilisation généralement excessive, nous rappelle l'idée d'un bonheur illusoire que les personnages s'injectent à petite dose, étant tout aussi perdu que nous dans un univers qu'ils ne comprennent pas, et une vie qui file sans laisser de temps.
Finalement je dirai que le plus grand défaut de Hong Sang-Soo est le résultat logique de son envie de se rapprocher du réel : si les personnages, leurs histoires, leurs échanges, ne nous atteignent pas, nous allons passer à côté du film. En voulant à ce point toucher la réalité des gens, ils nous apparaissent avec leurs défauts, presque une mise à nu, touchant ainsi nos affects personnels, et donc notre rapport à l'autre.
Voir un film de Hong Sang-Soo ne signifie pas les avoir tous vu, chacun étant le portrait, la mise en image d'un quotidien, d'un instant de vie différent, d'une nouvelle envie de créer du réel avec du faux.
A un moment tu crois que personne ne boira du soju dans le film et puis paf, ça arrive quand même