Nostos : Il ritorno

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Commentaires
18/12/2016 16:07:16
Par exemple, je prends la scène où le héros découvre l'île sur laquelle il se trouve en rencontrant une femme, j'ai l'impression que tout le montage tombe à plat que ça ne véhicule rien, les images ne produisent rien entre elles. Tu as une image de la femme, une image de l'homme perdu autour, mais entre les deux, rien, nada, néant.
Et le terme "décousu", c'est pour dire qu'il n'y a pas de relations immédiate entre les idées qu'on nous montre à l'image, c'est pas dans une narration standard, il faut attendre un moment pour tout assimiler ce qu'on a déjà vu. Pas d'idée A et B pour créer une idée C, pas d'effet ensemble donné en voyant une par une des sous-partie données, ça rebondit déjà sur autre chose.
Exemple à la fin :

On a des femmes jouent sur la plage -> un homme à la mer, des femmes qui jouent sur la falaise -> visage de l'homme qui se réveille dans l'eau en voyant quelque chose -> un bouc mâche -> il y a un troupeau de bouc -> l'homme marche dans une plaine vide -> Plaine de blé -> Homme sur colline de blé -> Homme+menhir+arbre en arrière-plan -> Homme qui caresse un tronc d'arbre -> visage heureux de l'homme -> homme devant forteresse.

Basiquement, on sent que chaque plan veut nous surprendre (ça devient progressivement plus clair) et à la finit par comprendre comment est tissé l'histoire à partir de ce montage décousu. Le procédé est pas un défaut, mais dans ce film, je trouve ça tellement "petit malin", pas réussi.

Et au contraire, l'idée de découpage de scène est toujours là, c'est très marqué. C'est si linéaire et compressé que je ne vois pas comment le temps peut être cassé) C'est absolument incomparable avec Tarkovski. Même Jauja que je ne peux pas voir en couleur, ça réussit bien mieux cette gestion temporelle comme tu la décrit.
Les ellipses, elles restent là, ton besoin de poursuivre la scène, ça me semble plus parce que ça te parle que pour les qualités structurelles du film.

Concernant l'image crade, c'est un constat fait quand je vois ces images de vague et puis ensuite ces images de mouettes qui n'ont pas la même naïveté visuelle. Et tu obtiens un entre deux qui ne donne rien, il n'y a aucune dose sur les plans pour que leur interaction produise quelque chose. Bien sûr, c'est qu'une proposition formelle de ma part parmi d'autres, n'étant pas convaincu par ce que je vois. (par crade, je pensais par exemple, aux images de campagnes dans Les contes de Canterbury souvent inégales les unes par rapport aux autres, qui produisent vraiment quelque chose)

Pareil, le long plan du navire au crépuscule puis ensuite ce plan moyen sur les passagers, je ne sens pas de naturel, pas d'artifice exposé, pas de fluidité, rien, pour moi, c'est juste du montage forcé. Il fallait qu'il y ait quelque chose après ce plan du navire, alors on te flanque une vue sur l'équipage. C'est ce que j'interprète là-dessus.
Encore une fois, je trouve qu'il n'y a "des images qui veulent bien faire" mais qui ne communiquent pas entre elles.

En conclusion, je ne demande pas un montage qui fasse des choses de manière standard, mais tout simplement un montage qui existe. Il n'a pas à être au service des images, il faut une collaboration, une harmonie de tout. Le montage n'existe pas sans les images et inversement. Ici le film donne l'impression que tu peux mettre chaque plan dans un dossier en vrac et basta, ça fait la même chose.
Bon sang, tu as le plan d'oeil de la fille, le type qui cherche, c'est une belle idée, mais ils en font rien, ça dégage rien, je sais pas, il aurait peut-être fallu direct enchaîner avec les préliminaires au troisième plan. Quand quelque chose se présente à nous, il faut pas s'encombrer de dix milles trucs. Dans le cas de la rencontre de la femme sur l'île déserte, soit on enchaîne direct avec les préliminaires après le plan de l'oeil (dans la galerie) et celui de l'homme qui cherche autour de lui, soit on s'en tient à des plans d'animaux après ces deux plans et on passe à l'adieu direct entre l'homme sur le radeau et la femme sur la falaise. Ca c'est du montage décousu qui aurait pu donner quelque chose.
Mais pas les deux trucs à la fois, c'est indigeste (ou alors il faut savoir faire passer ça, mais ça ne réussit pas).
18/12/2016 17:54:03
Lorsque je parlais de Tarkovski, je ne faisais pas spécialement référence à ses films, mais plutôt à ce qu'il écrit dans Le Temps Scellé (De l'image au cinéma ; Temps, rythme et montage - page 142-143) :

"Ce qui est particulier au montage de cinéma est qu'il articule du temps imprimé sur des morceaux de pellicule exposée. Le montage devient un collage de morceaux, grands ou petits, qui portent chacun en eux-mêmes un temps particulier. Cet assemblage donne naissance à une nouvelle perception de l'existence de ce temps, résultat des rejets et des coupes opérés au cours du processus. Mais ce qui fait la spécificité de ce collage est contenu au préalable dans les morceaux du film. Le montage, en tant que tel, n'engendre pas quelque qualité nouvelle, mais ne fait que révéler ce qui existait déjà dans les plans à monter. [...] Il ne s'agit donc pas de deux concepts semblables, dont la rencontre ferait apparaître quelque "troisième sens", selon une idée courante dans la théorie du cinéma, mais bien de la diversité de la vie perçue et fixée par le plan."

Qu'on soit d'accord ou non avec ce qui est dit dans cette citation, ça s'applique en tout cas à merveille au cinéma de Piavoli. Cette idée du "A+B=C" n'est donc effectivement pas applicable à Nostos : il ritorno, mais ce n'est pas un défaut du film (m'est avis que c'est même plutôt une qualité, mais ça n'engage que moi). Comme tu le dis toi même, la narration n'est pas standard. Je dirais même que la narration est là avant tout pour soutenir les images. Il n'y a pas toujours de relation narrative entre les plans, et l'objectif n'est pas que ce soit progressivement plus clair jusqu'à arriver à comprendre comment est tissée l'histoire, mais plutôt de vivre ces images au présent, en profitant pleinement de ce qu'elles proposent et en évacuant le plus possible toute notion de suspens, pour que le spectateur ne soit pas dans l'attente de ce qui arrivera ensuite.

La relation entre les plans n'est donc pas narrative (du moins pas forcément) mais naturelle. Je n'ai pas vu Jauja, donc difficile de comparer, mais ici il y a bien ce montage qui révèle la vie de chaque plan et qui permet l'harmonie. Je dirais que le montage est au service des sens, il ne cherche pas à nous surprendre, mais va au contraire toujours là où il est naturel d'aller.

Je vais reprendre ton exemple : l'homme échoue sur la rive. On sent de la vie sur cette rive : on montre les filles qui jouent (l'homme commence donc à reprendre conscience, d'abord avec l'ouïe). On revient à l'homme, se réveillant, probablement intrigué par les jeunes filles qu'il a entendu, puis il entend un bouc. On montre le bouc, puis un autre, puis un troupeau de boucs (prise de conscience progressive du lieu dans lequel il/on a atterri). On revient à l'homme, qui marche dans les plaines, en entendant toujours le bruit des boucs, on devine qu'ils viennent de là, et que l'homme s'avance dans l'île. Il arrive à un menhir, puis à un arbre, il touche l'arbre, il retrouve contacte avec la vie... etc etc.

Quant à ce que tu dis sur la rencontre entre l'homme et la femme, s'il y a tout ça, c'est que ça importe à ce moment-là. Les sens de l'homme sont éveillés, il entend et voit des animaux, la femme, l’œil de la femme, etc. Tout ça fait partie du "paysage sensitif" de Piavoli au moment où il visualise cette scène.

Je ne suis peut-être pas très clair (difficile d'exprimer par des mots ce que disent des images), mais je trouve qu'il y a une profonde vérité qui se dégage de ce montage. C'est un cinéma extrêmement sensitif, on suit notre ouïe et notre regard, toujours dans un esprit de découverte du monde et de la vie (c'est ce que raconte l'Odyssée d'ailleurs).

Donc j'ai vraiment du mal à comprendre tes reproches, tant tout me semble parfaitement fluide et harmonieux (je vais même aller encore plus loin en disant que Piavoli est pour moi l'un des cinéastes qui saisit le mieux cette harmonie de la vie, j'ai rarement vu, sauf peut-être chez Bresson, un montage aussi vrai que dans Voci nel tempo -sachant que c'est le même "procédé" que dans Nostos).Message édité
18/12/2016 18:36:49
(Ineusleau )
19/12/2016 06:08:49
Melaine Ici Tarkovski parle exactement du montage comme Da Vinci décrit sa manière de sculpter : dégager ce qui est déjà présent dans la matière. On parle ici de l'imagination et de l'inspiration humaine.
Je n'ai pas la source précise, mais je ramène l'anecdote suivante : un élève d'art demande à un professeur comment lutter contre la page blanche. Ce dernier s'énerve, se demandant quel est le crétin qui a créé l'expression de la page blanche, tant elle n'a aucun sens. Car devant une page vierge, on voit déjà dix millions d'idées dessus, gros bordel du cerveau, mais on sait pas lesquelles choisir. Alors le travail de l'artiste n'est non pas de "chercher l'idée" sur la page blanche mais de faire le ménage dans le vrac imaginaire dans sa tête pour y "dégager" quelques idées choisies qu'on va faire "révéler" sur le papier.

Tarkovski ne parle donc pas d'une hiérarchisation des outils de cinéma pour se retrouver à une dictature des images sur le reste (et sur le montage). Il dit simplement que les images qu'on a créé, on les a produit à partir de pleins d'étapes de "ménage", de "dégagement". Que le montage, comme la caméra, comme les acteurs, comme la photo, tous créent non pas en ajoutant du sens mais en faisant révéler par "dégagement" quelques sens parmi une infinité. La création n'est pas un processus qui va de quasi-rien, du négatif, jusqu'à quelque chose, du positif, mais l'inverse, du positif au négatif.

Tout ça pour dire que ça n'a pas de rapport avec le problème du montage que je reproche à Piavoli. Tarkovski parlait simplement de la création dans le montage, pas d'un quelconque procédé DE montage à suivre.

Tu as dit que le montage en lui-même "révèle la vie". Soit. C'est une possibilité, c'est un autre débat. Par contre, le montage n'est pas au service des sens puisqu'il doit justement en révéler certains et pas d'autres. A ce train-là, le montage est autant un majordome des images que Ms Danvers est une gouvernante au service de Rebecca. ( :reference qui sort de nulle part pour faire joli: ) Ca peut être crédible un moment, mais en fait c'est juste faux.

Et puis pour preuve, comment quelque chose de "vrai", donc qui tend vers la vérité même, ça peut être au service de quelque chose ? C'est pas logique. Puisque justement la vérité, c'est s'affranchir de tout pour s'élever jusqu'au top et s'imposer.

Donc, là, Piavoli, je ne trouve absolument pas que dans son montage il montre là où il est naturel d'aller, il force juste les portes. En exemple concret, si tu as l'homme qui regarde quelque chose en gros plan, puis le bouc en gros plan, puis un plan légèrement reculé sur un troupeau de bouc... et bien moi je suis incroyablement surpris par le plan hyper large de l'homme paumé dans la plaine (dont la couleur tranche avec les décors précédents), parce que je n'avais absolument cette idée de distance entre le bouc et l'homme (je sentais une grande proximité) et par conséquent, je ne peux plus faire le lien entre un homme qui irait vers les boucs, car je n'accepte pas ce changement d'échelle de plan qui m'a trop dérouté.

Après, je comprends mieux les possibles intentions du réal' pour la rencontre entre l'homme et la femme (l'éveil de tous les sens, ça se tient), mais c'est affreusement mal exécuté... à mon sens.Message édité
19/12/2016 15:57:48
Je ne suis pas sur que l'homme aille vers les boucs, à vrai dire nous savons pas vraiment où se situent les boucs dans l'espace à ce moment-là, c'est à nous de l'imaginer. Ça me fait penser à un bout de scène au début du Miroir (désolé si je ne cite que Tarkovski, mais je suis plongé dans son oeuvre en ce moment, et je trouve les liens cohérents), lorsque Maroussia, en pleine discussion avec le médecin, se retourne et regarde la caméra. A cet instant-là, ça cut sur un plan rapproché des enfants jouant dans la forêt, puis on revient à Maroussia et au médecin en changeant de plan de nouveau. A aucun moment nous ne savons quelle distance sépare les enfants de leur mère, pourtant le montage semble tout à fait naturel, car la notion d'espace importe peu à ce moment-là (ou du moins il importe peu de définir un espace, au spectateur d'imaginer la distance qu'il souhaite y voir).

Je crois que nous avons tendance à vouloir avoir le plus de repères spatio-temporels possibles, mais est-ce vraiment là que se situe la vérité dont nous parlions plus haut ? N'est-elle pas justement dans les ressentis, dans les émotions, dans ce qui se dégage de chaque plan ? C'est d'autant plus vrai dans le cinéma de Piavoli, car il accorde autant d'importance à l'ouïe qu'à la vue. Je me suis même demandé un jour s'il n'imaginait pas ses scènes en arrivant dans un lieu et en fermant les yeux, comme pour ressentir intensément tout ce qui s'en dégageait, voyant apparaître des images à partir de ces ressentis-là. Message édité
19/12/2016 16:20:31
Mince, j'ai encore oublié de t'identifier Ineusleau (d'ailleurs de ton côté tu peux t'en passer, je suis "abonné" à la fiche du film, je reçois donc une notification à chaque fois que quelqu'un commente ou attribue une note).
19/12/2016 17:40:19
Je ne demande pas tellement beaucoup de repères spatio-temporels, mais j'estime ici que les informations choisies, leur arrangement, la valeur de l'image et du son n'aboutissent pas à des ressentis naturels de mon côté. Et encore, j'ai du mal à saisir que ça fasse effet à d'autres

Après oui, le naturel et la vérité, je ne prétend pas que ça existe qu'à travers un suivi à la lettre de la mise en scène chez les américains classique, le mainstream et tout. C'est même plus fréquent à ressentir devant un film expérimental, aussi décousu peut il être. Enfin, j'entends plus souvent d'avis de ce genre sur ce genre de film, après je ne m'y connais pas

Pour Le miroir, désolé mais je ne peux pas discuter de la scène sans avoir revu le film.
26/01/2017 23:26:43
Le réalisateur cherche la même chose que cherche Bartas ou Pasolini mon héros et les rares autres qui m'ont laissé sur le cul. Il nous éclaire dans les galeries minières de nos souvenirs civilisationnels pour trouver un semblant de Beau et de Vrai et le faire triompher.
01/02/2018 00:17:06
Du coup voila je l'ai vu et c'était bien, mais à quel moment c'est mieux que justement Bartas, Pasolini ou Paradjanov je ne suis pas sûr de l'avoir bien saisi !
Du coup c'est qui, le personnage principal ? Kaelin à l'air de dire que c'est Ulysse, mais j'ai cru que c'était Enée qui arrive chez Didon.